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LE THÉÂTRE D’HIER.

l’idée de personne de rappeler un contemplateur. Il n’en a ni l’envergure ni la sensibilité. Mais il a autre chose, c’est à savoir une vision claire dans un champ restreint, très nette, un peu étroite et indifférente. De la vie moderne il a découvert et obstinément scruté quelques coins ; mais si son regard est opiniâtre, il est à peu près fixe, et inepte aux vastes perspectives. Il n’embrasse guère d’ensemble : il examine, il étudie, il perce. Il a le talent de voir, mais dans un certain rayon, à angle aigu ; il n’est guère plus séduit par les grands spectacles que par les grandes lignes ; il aime à fouiller les pénombres, et les petits côtés. Ceci n’est pas pour diminuer sa valeur, mais pour expliquer d’abord que son théâtre se résume en deux ou trois idées tout à fait neuves, deux ou trois, sans plus, qui l’attirent curieusement, sans l’émouvoir outre mesure. Vous me répondrez que la quantité ne fait rien à l’affaire : j’en suis d’avis.

D’autant que cette faculté d’observation, volontairement restreinte, mais implacable, l’a conduit à une philosophie assez concentrée, point du tout banale, mais assez inquiétante à définir. Rien de plus délicat que de fixer la matière qu’il élabore. Somme toute, les Corbeaux exceptés, son théâtre est déjà dans la Navette, et même, à l’origine, dans une scène isolée et un peu perdue au milieu du troisième acte de l’Enfant prodigue.

— « Ah ! il est encore un peu bête avec les femmes, dit Chevillard, mais toi aussi, moi aussi, nous sommes un peu bêtes avec les femmes. » — « Oh ! mon ami, répond Delaunay, que ce que tu dis là est vrai ! » —

Au premier regard, cela n’a l’air que d’un mot. Donnez-y plus d’attention, et vous verrez que d’ores et déjà M. Becque prenait pied naturellement et d’instinct — on ne saurait trop le redire — sur un terrain fertile et presque inexploré. Mais Molière ? Mais Racine ? Et Marivaux ? Et les Romantiques ? Et l’éternelle peinture de l’amour dont se meurt notre scène ?