Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
ÉMILE AUGIER

parti. » Elle est faite de deux mouvements balancés. M. Poirier débute par le ton sec, cassant, décidé, jusqu’au moment où son gendre ayant, comme par mégarde, mis le doigt sur l’enclonure, il se livre, se découvre, glisse du ton décidé au ton radouci, puis modeste, et de la modestie à l’espérance, de l’espérance à la joie, de la joie à la convoitise, et de la convoitise à la déception et à l’humiliation. Il est joué ; il perd la partie, en attendant que la chance lui revienne, et que, par une symétrie de composition profondément comique, il reprenne avantage et gouverne ce petit désespoir au gré de sa rancune, dût le bonheur d’Antoinette, à peine ressaisi, s’envoler encore. C’est chez l’auteur un parti pris de ne point prendre parti, et d’opposer ces travers adverses jusqu’au dernier acte, à force égale. Les événements se précipitent, et des deux parts les sottises se multiplient. Gaston, qui venait de connaître sa femme, renonce au plaisir de la connaissance. Il se bat en duel demain. Il revient à madame de Montjay sur l’heure. Que dis-je ? Il y court ; il est en retard. Et ce n’est pas trop des deux confidents, le duc et Verdelet, pour ralentir la vitesse du drame, maintenir l’équilibre, et calmer les oscillations de la balance affolée. La victime de ce duel entre l’aristocratie et la bourgeoisie, c’est Antoinette, qui apprend son malheur, l’infidélité de son mari, reçoit une lettre de sa rivale à l’adresse de Gaston, la remet aux mains de son père, lequel ne se gêne pas pour la décacheter, heureux de tenir sa vengeance. Il la tient. Et il faudra que le gentilhomme s’humilie, qu’il consente les concessions refusées le matin même, qu’il capitule. Poirier exulte, froidement, diplomatiquement. Au besoin, il traînera M. le marquis devant les tribunaux. Il a une arme, il la garde ; il pense en user ; mais sa fille, pour la deuxième fois chevaleresque et vraiment marquise, reprend la lettre, la déchire, et inconsolable, inflexible, répond aux prières de Gaston : « Je suis veuve. Monsieur. » La