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est devenue, mieux étudiée, la rivale souvent victorieuse de la langue de Dante et de Boccace. On a reconnu ses délicatesses, on a reconstruit sa grammaire. On a démontré que, loin d’avoir jamais rien emprunté aux Allemands, aux Anglais, aux Italiens, aux Espagnols, nos écrivains avaient été admirés et imités par les plus beaux génies de ces nations étrangères. Le Lancelot français a inspiré l’Amadis espagnol ; la Chanson d’Antioche a présenté des beautés plus solides peut-être que celles de la Jérusalem délivrée ; sans nos vieux trouvères, l’Italie ne se serait jamais glorifiée de son Décaméron ni de son Roland furieux. C’est enfin un titre assez légitime à l’estime publique d’avoir retrouvé et remis en lumière des épopées telles que Witikind de Saxe et Raoul de Cambrai, des chroniques comme celles de Reims, d’Angleterre, de Belgique et de Normandie ; des poésies comme celles d’Eustache Deschamps, de Marie de France et de Rutebeuf ; des romans comme ceux de Renard, de Parthénope de Blois, de la Violette et du Chàtelain de Coucy ; sans parler d’un mélange innombrable de chansons légères, de lais, de fabliaux, de compositions morales et didactiques ; d’une foule de biographies, de glossaires et de dissertations curieuses et savantes. Ces heureuses productions de notre littérature nationale, nous les avons ressuscitées à grands frais d’argent et de temps ; personne ne nous a aidés, et, satisfaits de l’approbation d’un petit nombre d’esprits distingués, nous n’avons jamais eu recours à des annonces mendiées, à des réclames mercenaires. Quand la nation se montrait assez libérale pour fonder des cours de slave, de javanais, de sanscrit et d’indoustani, nous n’avons pas même réclamé une seule chaire d’ancienne littérature française. Mais si l’on voulait s’en rapporter à M. François Génin, chef de la division des travaux littéraires au ministère de l’Instruction publique, nous n’aurions jamais rien entendu aux origines de notre langue, et nous n’aurions exhumé que de sottes rapsodies, pompeusement annoncées et justement vouées aux mépris d’un public intelligent.

Cependant, je le déclare en toute sincérité, si M. Génin, en faisant paraître une troisième édition de la Chanson de Roncevaux, n’avait disposé que des ressources dont nous nous sommes toujours contentés ; si son livre, imprimé comme les nôtres à fort peu d’exemplaires, ne devait arriver qu’aux mains de savants particulièrement voués à l’étude du moyen âge, je ne perdrais pas à