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Et le drap en fut fait el réaume de Frise.
Bien sembla gentil fame, grans en fu la devise.

J’ai interprété devise par le bas-latin divitia, et je crois aujourd’hui m’être trompé ; il fallait entendre prix, estimation ou compte : les exemples de cette acception sont très-fréquents. Mais M. Génin trouve au mot devise le sens de fente, et le rapporte au manteau de Berte. Je laisse à remarquer la singulière équivoque qu’un tel sens présenterait, surtout en le rapprochant du célèbre surnom de la reine Berte.

Voyons encore le mot bregier, qu’en vingt autres endroits j’ai bien entendu berger, homme des champs (Garin, tom. I, p. 133) ; mais que, dans Villehardoin, j’ai eu le tort d’interpréter faiseur de brigues. M. Génin profite de mon explication du Garin pour me tancer à sa manière. « Il passe à côté de vervex et va chercher briga, pour en faire sortir bregier. En sorte que le comte de Béthune se qualifierait, lui et les siens, de voleurs, de brigands, et dirait : Vous avez tort de demander pareille concession à des voleurs comme nous sommes. »

D’après cette façon d’entendre Villehardoin, on peut voir comment M. Génin était préparé à traduire la Chanson de Roncevaux. Je me contenterai de lui faire remarquer qu’il ne devait pas faire, du nom bien connu de Quenes de Béthune, celui d’un comte de Béthune imaginaire. Quenes et Quens sont deux mots parfaitement différents, et le grand rôle que jouait cet illustre Quenes dans le livre de Villehardoin devait mettre à couvert d’une pareille erreur. Mais j’admets qu’il soit permis d’ignorer le nom de l’un des plus aimables poëtes et des plus grands hommes du treizième siècle, au moins devait-on mieux comprendre le reste de la phrase. « Par Dieu, sire comte, dit Quenes de Béthune, il n’y a pas de raison dans votre requête ; et nous ne devriez pas même l’adresser à des vilains, à des gens de la campagne, à des bergers. » Cela est un peu différent de la traduction de M. Génin.

Reste une autre méprise qui fait bondir de joie tous les écoliers de la connaissance de M. Génin : c’est le mot seta, présenté comme radical de notre soie. Ménage l’avait dit avant moi ; Covarruvias l’avait dit avant Ménage ; du Cange et les Pères de Trévoux l’avaient redit après lui. Il n’y a pas d’origine mieux constatée que celle-là ; ce qui ne prouve pas que, dans la bonne latinité, seta eût précisément l’extension que les modernes lui ont