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même culte la mère du Sauveur et toutes les dames. L’expression de cette nouvelle civilisation se retrouvera dans les romans de la Table ronde.

On ne trouvera rien de pareil dans nos Chansons de geste. Pour ce qui regarde la femme, les mères et les épouses y tiennent souvent une noble, une honorable place ; elles défendent les droits de leurs enfants, elles partagent les épreuves de leurs époux, elles hasardent parfois des conseils qui, bien ou mal reçus, témoignent toujours de leur bon jugement ou de leur sage prévoyance ; mais n’y cherchez pas l’amour proprement dit, et surtout la galanterie ; quand les filles du Roi, les dames, les jeunes damoiselles s’éprennent de passion pour les guerriers, elles prennent volontiers sur elles la confusion des premières avances, et cet expédient, qui leur inspire de faibles scrupules, ne leur réussit pas toujours. L’épopée française a donc ses Médée, ses Clytemnestre, ses Pénélope et ses Briséis ; elle n’a pas de Genièvre, de blonde Iseult, d’Héloïse et de dame de Fayel, touchantes victimes d’une passion coupable, mais pourtant délicate et raffinée. Les héroïnes de nos gestes s’exposent souvent à être battues, traînées par les cheveux, outragées le plus violemment du monde, et nous ne voyons pas qu’en prenant leur défense, leurs vengeurs invoquent les droits de leur sexe ou les lois de la chevalerie. Ces mœurs, singulièrement primitives et barbares, présentent un grand intérêt précisément parce qu’elles sont inattendues. Permettez-moi de vous en citer au hasard quelques exemples. Dans la chanson d’Aspremont, la Reine, femme du Sarrasin Eaumont, vit au milieu de ses femmes, enfermée dans une tour où vient de pénétrer le fils de Gérart de Frate ; elle ne compte pas sur la générosité du vainqueur, elle se contente de faire valoir, pour échapper à la mort, les services qu’elle et ses compagnes peuvent rendre. « Vous pouvez approcher ; » dit-elle, « nous ne savons pas lancer des flèches ou frapper d’un glaive ; si vous consentez à nous laisser la vie et à nous conférer le baptême, chacune de nous