Page:Paris, Paulin - Les chansons de geste, poèmes du XIIe et du XIIIe siècle : discours d’ouverture.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 12 —

contemporains de Charles le Simple et de Louis d’Outremer. Ceux-ci, on ne peut espérer de les retrouver que dans les Chansons de geste, et Sainte Palaye ne les avoit pas consultées.

Les Gestes présentent un récit, pour ainsi dire non interrompu, de scènes de conseil et de réception de messagers, de festins, de querelles, de défis, de combats et de réconciliations. C’est le tableau complet de la grande vie féodale. Les crimes que l’on y flétrit sont la spoliation de l’orphelin, les dénis de justice, le parjure et la trahison. Les grandes vertus qu’on y exalte sont la valeur guerrière, le respect des engagements contractés et de l’amitié jurée, la vengeance tirée des injures, et les représailles exercées sur ceux qui, loyalement ou traîtreusement, ont tué quelque parent ou quelque ami. Ne pas poursuivre cette satisfaction, c’est témoigner qu’on est indigne de porter les armes, et tout semble permis dans l’intérêt de la vengeance, même les guet-apens et les perfidies. Pour ce qui est des pratiques de dévotion, elles se réduisent au respect des jours maigres et de jeûne, à quelques formules d’oraisons auxquelles on attribue une certaine efficacité magique. Avant de marcher au combat, le guerrier entend une courte messe de très-grand matin, et emporte, quand il peut, quelques pains consacrés, dans la prévision d’une blessure mortelle. S’il est frappé sans avoir cette espèce de viatique, il rassemble toutes ses forces pour atteindre quelques brins d’herbe ou de paille, qu’il pose en croix et qu’il porte à ses lèvres. Quelquefois, à l’heure solennelle de la mort, des paroles de pardon sont prononcées ; mais alors le moribond semble y mettre pour condition qu’il ne guérira pas, et qu’il n’aura pas l’occasion de les désavouer.

La Chanson historique étoit une œuvre sérieuse : en dépit de tous les remaniements du xiie siècle, la Chanson de geste a conservé ce caractère. Même à cette époque de transformation, elle tire son principal intérêt de la sincérité qu’on lui suppose, et du respect de la tradition. Elle admettoit sans doute une sorte de merveilleux ; mais la foi des audi-