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entre les deux récits, il est évident que l’un des deux est le modèle que l’autre aura dû suivre. Ce modèle c’est, à mon avis, la Chanson d’Antioche. Au mérite d’être plus concise elle joint celui d’être plus intelligible, et surtout plus rapprochée de ce que dut être la réalité. Un détail ne permettra pas de douter que le chanoine d’Aix ne soit venu le dernier. Dans le récit de la complète déconfiture des bandes indisciplinées de Pierre l’Ermite devant le Civetot, Albert avait attribué le désastre des Chrétiens au seul sultan de Nicée Soliman : dans la chanson d’Antioche, c’est Corbaran d’Oliferne (Alep) qui, venu au secours de Soliman, avait décidé la victoire. Le chanoine d’Aix ne s’est pas apparemment souvenu de ce qu’il avait écrit dans son premier livre ; car, au cinquième, il nous montre le même Corbaran, se vantant d’avoir précédemment anéanti l’armée de Pierre l’Ermite. Je m’étonne, dit-il, de voir Soliman trembler devant les Chrétiens : Miror verba et querelam Solimani. Olim centum millia christianorum stravi, amputatis capitibus, juxta Civitot ubi montana terminantur... Petri eremitæ agmina innumerabilia satellites mei in auxilium Solimani missi attriverunt, quorum cadavere et ossibus campi regionis nunquam potuerunt vacuari.

Or, Richard pouvait seul prêter un tel discours à Corbaran, puisque seul il l’avait présenté comme le vainqueur des premiers Croisés :

Corbarans d’Oliferne a primerains parlé :
« Par Mahomet, mon dieu, qui fait croistre le blé,
« Mervoil-moi d’itel gent dont on a ci parlé !
« Auprès de Civetot, droit al mont dévalé,
« En ai-je trente mil ocis et descoupé. »
— Sire, » dist Solimans, « as-tu le sens desvé ?
« Che estoient tapins qu’avois là encontré.... »

Maintenant, les différences qui existent entre le récit d’Albert et celui de Richard peuvent s’expliquer par le désir qu’aurait eu le chanoine d’Aix d’ajouter quelque chose aux paroles d’un jongleur, ou parce qu’il n’aurait conservé qu’un