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assonante dans les vers. Et si Richard avait attendu 1150 pour faire sa chanson, Graindor n’aurait assurément pas eu besoin de la renouveler.

M. Pigeonneau fait ensuite à notre Richard deux grands reproches : d’un côté, il aurait dû au chanoine Albert et au curé Tudebode tout ce qu’il avait mis dans sa chanson ; de l’autre, il aurait oublié nombre de faits intéressants, qu’il pouvait également leur emprunter. Assurément, jamais plagiaire n’aurait été plus infidèle. Mais, s’il avait eu sous les yeux le livre d’Albert, est-il vraisemblable qu’il eût négligé d’y recueillir vingt épisodes romanesques cent fois mieux à leur place dans son poëme que dans le livre du chanoine d’Aix ? Comment eût il oublié la lutte de Godefroi devant les murs de Nicée contre un nouveau Goliath, que mille flèches, arrêtées dans les mailles de son haubert, n’avaient pu encore ébranler ? — Et cet autre combat de Godefroi contre un ours monstrueux qui, dans les forêts du voisinage d’Antioche, dévorait tous ceux qui avaient le malheur d’approcher de son repaire ? Comment n’eût rien emprunté à la splendide réception faite aux envoyés du Soudan d’Égypte ; à l’histoire si poétique et si invraisemblable du beau Suenon, prince de Danemark, massacré par les Turcs avec sa mie la belle Florine, laquelle avait voulu le suivre en Orient, sperans post triumphum Fidelium tam magno tantoque viro sociari marito. Aurait-il passé la merveilleuse rencontre d’une flotte de sept cents écumeurs de mer, originaires de Frise, qui depuis huit ans exerçaient leur piraterie en toute liberté sur la Méditerranée ? Leur capitaine reconnaît dans Baudouin de Boulogne le fils de son ancien maître, il renonce aussitôt à son honnête commerce, et quand Baudouin est appelé par le Vieux de la Montagne, gouverneur d’Édesse, c’est à ce forban qu’il abandonne la ville de Tarse nouvellement conquise[1]. Tous ces beaux incidents et

  1. Ce récit d’Albert d’Aix, accepté par tous les historiens modernes, a pourtant l’air d’un conte. Quelques jours après le départ de Bau-