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de rester cinq ans à sa cour, et de voyager en Italie, en Guyenne, en Bretagne, aussitôt après son retour en France.

Les bibliographes de Froissart ont pris au sérieux cette fiction de l’Espinette amoureuse. Ils ont admis la violente passion, la grande maladie et les motifs d’absence ; ils ont admiré l’intrépidité du futur historien au milieu d’une tempête sur mer ; et comme le séjour du poëte en Angleterre s’accordoit assez mal avec toutes ces données, ils ont supposé un premier voyage et un retour précipité : ce qui ne pouvoit justifier la donnée poétique qu’en contredisant le propre témoignage de l’historien, plusieurs fois répété dans le cours des Chroniques. Le dernier historien de Froissart a même été plus loin. Afin de donner une plus grande place à cet amour chimérique, il a soutenu que Froissart n’avoit jamais présenté que de petits vers à la reine d’Angleterre, et que la première rédaction de ses Chroniques devoit être reculée jusqu’en 1373, quand l’auteur étoit déjà curé de Lessines. Voilà comment une première méprise peut fausser le meilleur jugement. La réfutation de cette assertion se trouve dans le second alinéa qui sert de frontispice à la dernière et définitive rédaction de Froissart. Le voici :


« Voirs est que je qui ay empris ce livre, ay, par plaisance qui à ce m’a tousjours encliné, frequenté plusieurs nobles et grans seigneurs tant en France comme en Angleterre, en Escoce et en autres pays, et ay eu la cognoissance d’eulx. Si ay tousjours à mon pouvoir justement enquis et demandé du fait des guerres et des avantures qui en sont avenues, et par especial depuis la grosse bataille de Poictiers où le noble roy Jehan de France fut pris ; car devant ce, j’estoie encore moult jeune de sens et d’aage. Non obstant, si en pris-je assez hardement, moy issu de l’escole[1], à rimer et à dittier les guerres dessus dites et pour porter en

  1. Je crois que la phrase seroit plus correcte s’il y avoit : en pri-je assez hardement… pour rimer et dictier… et pour porter… Hardement est substantif, non adverbe. L’adverbe seroit hardiement.