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le chevalier qui pleure et qui rit.

écuyer portant sur son épaule une liasse de lances. Arrivé devant la fontaine, l’écuyer descend, délie le faisceau et dresse les lances autour du pin ; il ôte de son cou un écu noir goutté d’argent, et le suspend par la guiche[1] à l’une des branches. Cela fait, et sans descendre de cheval, l’écuyer pique des deux, et rentre dans la forêt d’où il venait de sortir.

De la même forêt, mais par une autre voie arrive presque aussitôt un chevalier entièrement armé qui regarde les lances rangées autour du pin, s’arrête, délace son heaume et descend : quand il voit l’écu suspendu aux branches, il gémit, soupire et verse des larmes. Un moment après, il semble consolé, relève gaiement la tête et donne les signes d’un vif contentement.

« En vérité, dit le sénéchal, si ce chevalier n’est pas fou, je ne crois pas qu’il y en ait au monde. — La chose est étrange en effet, dit messire Gauvain ; comment deviner ce que cela signifie ? — Rien de plus facile, répond Keu ; je vais aller le demander. Si le chevalier refuse de parler, je saurai bien le mettre à raison. — L’amende, s’écrie Sagremor, est de mon droit ; c’est moi qui dois ordinairement

  1. La guiche était ce que nous appelons aujourd’hui assez improprement baudrier : ce dernier mot est dérivé de baudré qui répondait à ceinture ; baudrier serait donc proprement le ceinturon.