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FRANÇOIS VILLON.

de couleur. Il fait parler les squelettes suspendus à Montfaucon :

La pluie nous a bues[1] et lavés,
Et le soleil dessechiés et noircis ;
Pies, corbeaux, nous ont les yeux caves
Et arrachié la barbe et les sourcis.
Jamais nul temps nous ne sommes assis[2]:
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie.
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre...

Un dilettante pourrait regretter que la sinistre vision n’ait pas été réalisée : si elle l’avait été, si le maigre corps du poète avait en effet brandillé au gibet de Montfaucon, si cette page était la dernière de son œuvre, on ne peut nier que cette œuvre en prendrait quelque chose de plus impressionnant et de plus tragique. Nous sommes loin, toutefois, d’être fâchés que Villon ait échappé à la potence, et nous prenons volontiers notre part de la gaieté triomphante de sa jolie ballade au guichetier Garnier : c’est une des mieux tournées et des plus vives qu’il ait écrites.

Nous n’en dirons pas autant de la dernière pièce de lui qui nous soit parvenue, de sa ballade au Parlement pour le remercier d’avoir accueilli son appel et demander un délai de trois jours avant de quitter Paris. Comme presque toujours quand il vise au style noble, il y est à la fois emphatique et vulgaire, et il tombe dans le burlesque sans le vouloir en invitant ses cinq sens à se joindre à sa langue, ses dents à « s’eslochier », son cœur à se percer d’une

  1. Lessivés.
  2. En repos.