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monde entier, sur les affiches et les prospectus de la librairie. Il n’aurait pu suffire seul à cette tâche écrasante, malgré sa puissance de travail bien connue : Ceci nous conduit à dire un mot de ses collaborateurs qu’on lui a si souvent et trop injustement reprochés.

« On s’est toujours fort inquité de savoir comment s’étaient faits mes livres, et surtout qui les avait faits. Il était si simple de croire que c’était moi, que l’on n’en a pas eu l’idée ;

« Et, naturellement, ce sont ceux de mes ouvrages qui ont obtenu le plus de succès, dont on m’a contesté le plus obstinément la parternité (Al. Dumas, Causeries). »

Cette boutade est pleine de sens, mais il faut avouer que Dumas, en laissant publier sous son nom des ouvrages qu’il n’avait pas eu le temps de lire, a fait le jeu trop facile à ses détracteurs.

Dumas a eu, tout le monde le sait, de nombreux collaborateurs qui, presque tous, d’ailleurs, se sont fait un nom dans les lettres. Mais avec son ardeur et sa nature absorbante il prenait, dans le plan et surtout dans l’exécution de l’œuvre commune, la plus large part du travail. Aussi les ouvrages faits en collaboration, par Dumas, sont-ils empreints avant tout de sa personnalité puissante, tandis que ceux de ses collaborateurs, une fois séparés de lui, perdent, pour la plupart, cette vivacité d’allures, et cette force dramatique, que Dumas seul avait le don de leur imprimer. Comme Horace Vernet, dont nous le rapprocherions volontiers, tandis que nous rapprochons Hugo de Delacroix, et Casimir Delavigne de Paul Delaroche, Dumas se plaisait dans la collaboration ; il aimait à donner un corps à la pensée d’un autre, dût-il emprunter cette pensée à Racine, à Goethe, à Schiller, à Walter Scott ou à Shakspeare. Dauzats invenit, Dumas sculpsit, est une épigraphe inscrite de la main de Dumas sur l’exemplaire du Capitaine Paul offert au baron Taylor, et qui peut s’appliquer à bon nombre de ses autres ouvrages.

Si Dumas s’attribuait, dans les résultats de l’œuvre commune, la part du lion que personne n’était réellement en droit de lui contester, il n’hésitait pas dans ses préfaces, ses mémoires, ses envois autographes, à faire connaître le nom et très souvent la contribution exacte de son collaborateur. Il usait même volontiers d’un solécisme, dont riaient ses amis, en écrivant, de sa belle cursive, sur le titre du volume qu’il envoyait