Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
149
POUR LES CURÉS DE PARIS.


que la loi avoit commandé, comme de ne point jurer sans nécessité, afin de ne point tomber dans le parjure, et en ajoutant des conseils de perfection. »

Mais quand il seroit vrai (ce que nous venons de faire voir être très-faux, selon saint Thomas) que Jésus-Christ n’eût donné aucune lumière nouvelle touchant les préceptes moraux de l’Ancien Testament, la conséquence que cet auteur tire de ce principe ne laisseroit pas d’être extravagante, puisqu’il ne s’ensuivroit pas de là que ce soit à la lumière de la raison à juger quand il faut tuer ou quand il ne faut pas tuer, ni qu’on doive regarder les cas touchant l'homicide comme des cas qui ne sont décidés ni par l’Ancien ni par le Nouveau Testament.

Jésus-Christ a-t-il aboli, par la loi nouvelle, le précepte du Décalogue qui défend de tuer, et ce précepte est-il devenu soumis à notre raison ; et ne nous a-t-il pas été donné, au contraire, pour arrêter les égaremens de la raison, par l’autorité de la loi de Dieu ? C'est ignorer tout à fait la nécessité que l`homme a eue de la loi de Dieu, et la fin que Dieu s’est proposée en la donnant, de prétendre, comme font les jésuites, que lorsque Dieu nous fait une défense générale, comme est celle de ne point tuer, ce soit nonobstant cela a la raison naturelle de juger quand cette loi oblige, et quand elle n’oblige pas.

Car, quoique les préceptes moraux de la loi de Dieu soient conformes à la raison naturelle, et que Dieu les ait gravés dans le cœur de l’homme en le créant à son image, on ne peut néanmoins nier, sans être non-seulement pélagien, mais aveugle, que notre raison n’ait tellement été obscurcie par le péché qu`elle n’est plus capable de se conduire elle-même dans le discernement du bien et du mal. Les étranges erreurs dans lesquelles les plus sages du paganisme sont tombés, les vices qu’ils ont excusés, l'incertitude dans laquelle ils ont été dans toute la conduite de leur vie, sont une preuve et une conviction sensible de cette dépravation de l’esprit humain. Qu’a été pour en convaincre les hommes que Dieu a attendu plus de deux mille ans à leur donner sa loi, et c’a été pour y apporter quelque remède qu’il la leur a enfin donnée. Saint Thomas nous enseigne l’un et l’autre (1-2, quaest. XCVIII, art. 6), où il dit : « qu’il a été à propos que la loi ne fût donnée qu’au temps où elle l’a été, parce que l'homme se glorifioit de sa science, comme si la raison naturelle eût pu lui suffire pour le salut : et qu’ainsi, pour convaincre son orgueil, Dieu l’a laissé longtemps a la conduite de sa propre raison, sans le secours de la loi écrite, afin qu’il reconnût, par sa propre expérience, combien sa raison étoit défectueuse : « Ut de hoc ejus superbia convinceretur, permissus est homo regimini suae ratîonis absqne adminiculo legis scriptæ ; et experimento homo discere potuit quod patiebatnr rationis defectum. »

Et dans la question suivante (art. 2), s’étant objecté : « qu’il semble que la loi divine ne devoit point secourir l’homme en ce qui est des préceptes moraux, parce que sa raison lui suffisait pour cela, » il répond : « que Dieu ne devoit pas seulement aider l’homme par sa loi dans les choses qui sont tout à fait au-dessus de la raison, mais en celles-là mêmes dans lesquelles la raison se trouvoit embarrassée. Or, la raison