Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/28

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à Dieu pour la conduite de nos vies, et que le déplaisir ne soit pas dominant en nous.

Saint Augustin nous apprend[1] qu’il y a dans chaque homme un serpent, une Eve et un Adam. Le serpent sont les sens et notre nature, l’Ève est l’appétit concupiscible, et l’Adam est la raison. La nature nous tente continuellement, l’appétit concupiscible désire souvent ; mais le péché n’est pas achevé, si la raison ne consent. Laissons donc agir ce serpent et cette Ève, si nous ne pouvons l’empêcher ; mais prions Dieu que sa grâce fortifie tellement notre Adam qu’il demeure victorieux ; et que Jesus-Christ en soit vainqueur, et qu’il règne éternellement en nous. Amen.




PRIÈRE
POUR DEMANDER A DIEU LE BON USAGE DES MALADIES[2].


I. Seigneur, dont l’esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui êtes tellement miséricordieux, que non seulement les prospérités, mais les disgrâces mêmes qui arrivent à vos élus sont des effets de votre miséricorde, faites-moi la grâce de ne pas agir en païen dans l’état où votre justice m’a réduit ; que, comme un vrai chrétien, je vous reconnaisse comme mon Père et mon Dieu, en quelque état que je me trouve, puisque le changement de ma condition n’en apporte pas à la vôtre ; que vous êtes toujours le même, quoique je sois sujet au changement ; et que vous n’êtes pas moins Dieu quand vous affligez et quand vous punissez, que quand vous consolez et quand vous usez d’indulgence.

II. Vous m’aviez donné la santé pour vous servir, et j’en ai fait un usage tout profane. Vous m’envoyez maintenant la maladie pour me corriger ; ne permettez pas que j’en use pour vous irriter par mon impatience. J’ai mal usé de ma santé, et vous m’en avez justement puni. Ne souffrez pas que j’use mal de votre punition. Et puisque la corruption de ma nature est telle qu’elle me rend vos faveurs pernicieuses, faites, ô mon Dieu ! que votre grâce toute puissante me rende vos châtiments salutaires. Si j’ai eu le cœur plein de l’affection du monde pendant qu’il a eu quelque vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut ; et rendez-moi incapable de jouir du monde, soit par faiblesse de corps, soit par zèle de charité, pour ne jouir que de vous seul.

III. O Dieu, devant qui je dois rendre un compte exact de toutes mes actions à la fin de ma vie et à la fin du monde ! O Dieu, qui ne laissez subsister le monde que pour exercer vos élus, ou pour punir les pécheurs ! O Dieu, qui laissez les pécheurs endurcis dans l’usage délicieux et criminel du monde ! O Dieu, qui faites mourir nos corps, et qui, à l’heure de la mort, détachez notre âme de tout ce qu’elle aimait au monde ! O Dieu, qui m’arracherez, à ce dernier moment de ma vie, de toutes les choses auxquelles je me suis attaché,

  1. De Genesi contra manichæos, II, 20.
  2. Cette pièce a été composée vers 1648.