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PRIÈRE POUR LA MALADIE.

au maitre tout-puissant de la nature et de mon cœur. A qui crierai-je, Seigneur, à qui aurai-je recours, si ce n’est à vous ? Tout ce qui n’est pas Dieu ne peut pas remplir mon attente. C’est Dieu même que je demande et que je cherche : et c’est a vous seul, mon Dieu, que je m’adresse pour vous obtenir. Ouvrez mon cœur, Seigneur ; entrez dans cette place rebelle que les vices ont occupée. Ils la tiennent sujette. Entrez-y comme dans la maison du tort[1] ; mais liez auparavant le fort et puissant ennemi qui la maîtrise, et prenez ensuite les trésors qui y sont. Seigneur, prenez mes affections que le monde avoit volées ; volez vous-même ce trésor, ou plutôt reprenez-le, puisque c’est à vous qu’il appartient, comme un tribut que je vous dois, puisque votre image y est empreinte. Vous l’y aviez formée, Seigneur, au moment de mon baptême qui est ma seconde naissance : mais elle est toute effacée. L’idée du monde y est tellement gravée, que la vôtre n’est plus connoissable. Vous seul avez pu créer mon âme ; vous seul pouvez la créer de nouveau ; vous seul y avez pu former votre image, vous seul pouvez la réformer, et y réimprimer votre portrait effacé, c’est-à-dire Jésus-Christ mon Sauveur, qui est votre image et le caractère de votre substance,

V. O mon Dieu ! qu’un cœur est heureux qui peut aimer un objet si charmant, qui ne le déshonore point, et dont l’attachement lui est si salutaire ! Je sens que je ne puis aimer le monde sans vous déplaire, sans me nuire et sans me déshonorer ; et néanmoins le monde est encore l’objet de mes délices. O mon Dieu ! qu’une âme est heureuse dont vous êtes les délices, puisqu’elle peut s’abandonner à vous aimer, non-seulement sans scrupule, mais encore avec mérite ! Que son bonheur est ferme et durable, puisque son attente ne sera point frustrée, parce que vous ne serez jamais détruit, et que ni la vie ni la mort ne la sépareront jamais de l’objet de ses désirs ; et que le même moment qui entraînera les méchans avec leurs idoles dans une ruine commune, unira les justes avec vous dans une gloire commune ; et que comme les uns périront avec les objets périssables auxquels ils se sont attachés, les autres subsisteront éternellement dans l’objet éternel et subsistant par soi-même auquel ils se sont étroitement unis ! Oh ! qu’heureux sont ceux qui avec une liberté entière et une pente invincible de leur volonté aiment parfaitement et librement ce qu’ils sont obligés d’aimer nécessairement !

VI. Achevez, ô mon Dieu, les bons mouvemens que vous me donnez. Soyez-en la fin comme vous en êtes le principe. Couronnez vos propres dons : car je reconnois que ce sont vos dons. Oui, mon Dieu : et bien loin de prétendre que mes prières aient du mérite qui vous oblige de les accorder de nécessité, je reconnois très-humblement qu’ayant donné aux créatures mon cœur, que vous n’aviez formé que pour vous, et non pas pour le monde, ni pour moi-même, je ne puis attendre aucune grâce que de votre miséricorde, puisque je n’ai rien en moi qui vous y puisse engager, et que tous les mouvemens naturels de mon cœur, se portant

  1. Le démon.