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LETTRE

tions qui subsistent si facilement ensemble, puisque ce n’est autre chose que dire que les commandemens sont toujours possibles à la charité, et que tous les justes n’ont pas toujours le pouvoir prochain de persévérer dans cette charité : ce qui n’est point contradictoire ; que Dieu ne refuse jamais ce qu’on lui demande bien dans la prière, et que Dieu ne donne pas toujours la persévérance dans la prière ; ce qui n’est en aucune sorte contradictoire.

Voilà ce que j’avois à vous dire sur ce sujet, où je suis bien aise d’être entré, pour vous faire voir que les propositions qui sont contradictoires dans les paroles, ne le sont pas toujours dans le sens ; et parce que vous avez pensé souvent trouver de la contradiction dans les choses que j’ai eu l’honneur de vous dire, et que l’on voit aujourd’hui un nombre de personnes assez téméraires pour avancer qu’il y a de la contradiction dans les sentimens de saint Augustin : je ne puis refuser une occasion si commode de vous ouvrir amplement les principes qui accordent si solidement toutes ces propositions contradictoires en apparence, mais en effet liées ensemble par un enchaînement admirable.

Il ne faut que remarquer qu’il y a deux manières dont l’homme recherche Dieu, deux manières dont Dieu recherche l’homme ; deux manières dont Dieu quitte l’homme, deux manières dont l’homme quitte Dieu ; deux dont l’homme persévère, deux dont Dieu persévère à lui faire du bien, et ainsi du reste.

Car la manière dont Dieu cherche l’homme lorsqu’il lui donne les foibles commencemens de la foi, pour faire que l’homme lui crie dans la vue de son égarement : « Seigneur, cherchez votre serviteur, » est bien différente de celle dont Dieu recherche l’homme quand il exauce cette prière, et qu’il le recherche pour se faire trouver ; car celui qui disoit : « Cherchez votre serviteur, » avoit sans doute déjà été cherché et trouvé ; mais parce qu’il savoit bien, lui qui avoit l’esprit de prophétie, qu’il y avoit une autre manière dont Dieu pouvoit le rechercher, il se servoit de la première pour obtenir la seconde.

Ainsi la manière dont nous cherchons Dieu foiblement, quand il nous donne les premiers souhaits de sortir de nos engagemens, est bien différente de la manière dont nous le cherchons, quand, après qu’il a rompu nos liens, nous marchons vers lui en courant dans la voie de ses préceptes. Toutes ces choses-là, qui sont sans contestation, nous conduiront insensiblement à concevoir celles qui sont contestées.

Il y a de même deux manières dont l’homme persévère. La persevérance à prier et à demander simplement les forces dont on se sent dépourvu, est bien différente de la persévérance dans l’usage de ces mêmes forces et dans la pratique des mêmes vertus. Ainsi il y a deux manières dont Dieu quitte l’homme comme nous l’avons déjà dit ; et ainsi du reste.

L’intelligence de ces différences éclaircit toutes les difficultés et toutes les contradictions apparentes, et qui ne le sont pas en effet, parce que des deux propositions qui semblent opposées, l’une appartient à l’une de ces manières, et l’autre à l’autre. Car comme on peut considérer la justification de deux manières, l’une dans ses effets particuliers, et