Aller au contenu

Page:Pascal - Oeuvres complètes, II.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
LETTRE

s’approchât de lui, et qu’il n’appartînt plus qu’à sa grâce que l’homme ne se retirât point de lui. »

Nous voyons assez par là que le premier homme ayant reçu un secours prochainement suffisant (ce qui est indubitable dans la doctrine de saint Augustin ; et si on en doute, il ne faut que recourir au livre De la correction et de la grâce, qui en est tout rempli), par lequel il pouvoit persévérer et ne pas persévérer, en sorte qu’il étoit laissé à son libre arbitre d’user de ce pouvoir suivant sa volonté, saint Augustin nous déclare deux choses : l’une, que le libre arbitre, en l’état qu’il est maintenant, n’a plus cette puissance ; l’autre, que Dieu ne veut plus commettre la persévérance à ce libre arbitre, mais qu’il veut qu’il n’appartienne qu’à sa grâce de s’approcher de Dieu, et qu’il n’appartienne encore qu’à sa grâce de ne point s’éloigner de Dieu. Considérez sur cela s’il y a rien de plus opposé à cette doctrine, que de dire que Dieu donne maintenant aux justes un secours prochain pour persévérer, et qu’il commet à leur libre arbitre de ne point s’éloigner de lui. Saint Augustin soutient que le libre arbitre n’est point maintenant capable de ce pouvoir prochain ; et ils prétendent que le libre arbitre a effectivement ce pouvoir prochain ! Saint Augustin dit que Dieu ne veut plus que ce soit avec un tel pouvoir, soumis au libre arbitre, que les hommes ne s’éloignent point de lui ; et ils disent que Dieu donne en effet un tel pouvoir aux hommes pour ne point s’éloigner de lui ! Saint Augustin dit qu’au lieu que les saints anges ont mérité la gloire en persévérant par leur libre arbitre, aidé d’un tel pouvoir, Dieu veut maintenant qu’il n’appartienne plus, sinon à sa grâce, que les hommes ne s’éloignent point de lui ; et ils disent que Dieu donne aux justes un tel pouvoir pour ne point s’éloigner de lui !

Vous voyez que bien loin que cette doctrine soit la même que celle de saint Augustin, je crois qu’il n’est pas possible d’en fabriquer une qui lui soit plus formellement contraire.

Dieu ne veut pas que ce soit autre chose que sa grâce qui fasse maintenant qu’on ne s’éloigne pas de lui, c’est-à-dire qu’on ne cesse de le prier ; au lieu qu’il l’avoit laissé au libre arbitre d’Adam. Car, si c’est un principe ferme dans la doctrine de saint Augustin, que le libre arbitre n’est plus maintenant capable de se servir d’un secours prochainement suffisant : n’avons-nous pas sujet de conclure qu’il n’y a rien de plus absurde que de dire que les justes ont un secours prochainement suffisant pour ne point s’éloigner de Dieu dans la prière ? Et cependant il faut être bien peu versé dans l’intelligence de ses maximes capitales, pour l’ignorer. La raison de cette incapacité qui est maintenant en l’homme d’entrer dans cet équilibre, et d’avoir cette indifférence prochaine aux opposites, qui étoient dans Adam, c’est que le libre arbitre d’Adam n’étoit attiré par aucune concupiscence. Sa volonté, dit saint Augustin, n’avoit rien dans elle-même qui lui résistât de la part de la concupiscence, ce qui n’est contesté par personne : de sorte qu’étant entièrement libre et dégagé, il pouvoit par ce secours prochainement suffisant, demeurer dans la justice, ou s’en éloigner sans être ni forcé, ni attiré de part ni d’au-