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PHILOSOPHIE. 299


entre le nom et la chose ; en sorte qu’à cette expression temps, tous portent la pensée vers le même objet ; ce qui suffit pour faire que ce terme n’ait pas besoin d’être défini[1], quoique ensuite, en examinant ce que c’est que le temps, on vienne à différer de sentiment après s’être mis à y penser ; car les définitions ne sont faites que pour désigner les choses que l’on nomme, et non pas pour en montrer la nature[2].

Ce n’est pas qu’il ne soit permis d’appeler du nom de temps le mouvement d’une chose créée ; car, comme j’ai dit tantôt, rien n’est plus libre que les définitions. Mais, ensuite de cette définition, il y aura deux choses qu’on appellera du nom de temps : l’une est celle que tout le monde entend naturellement par ce mot et que tous ceux qui parlent notre langue nomment par ce terme ; l’autre sera le mouvement d’une chose créée, car on l’appellera aussi de ce nom, suivant cette nouvelle définition.

Il faudra donc éviter les équivoques et ne pas confondre les conséquences. Car il ne s’ensuivra pas de là que la chose qu’on entend naturellement par le mot de temps soit en effet le mouvement d’une chose créée. Il a été libre de nommer ces deux choses de même ; mais il ne le sera pas de les faire convenir de nature aussi bien que de nom.

Ainsi, si l’on avance ce discours : le temps est le mouvement d’une chose créée, il faut demander ce qu’on entend par ce mot de temps, c’est-à-dire, si on lui laisse le sens ordinaire et reçu de tous, ou si on l’en dépouille pour lui donner en cette occasion celui de mouvement d’une chose créée. Que si on le destitue de tout autre sens, on ne peut contredire, et ce sera une définition libre, ensuite de laquelle, comme j’ai dit, il y aura deux choses qui auront ce même nom. Mais si on lui laisse son sens ordinaire, et qu’on prétende néanmoins que ce qu’on entend par ce mot soit le mouvement d’une chose créée, on peut contredire. Ce n’est plus une définition libre, c’est une proposition qu’il faut prouver, si ce n’est qu’elle soit très évidente d’ellemême ; et alors ce sera un principe et un axiome, mais jamais une définition, parce que dans cette énonciation on n’entend pas que le mot de temps signifie la même chose que ceux-ci, le mouvement d’une chose créée, mais on entend que ce que l’on conçoit par le terme de temps soit ce mouvement supposé.

Si je ne savais combien il est nécessaire d’entendre ceci parfaitement, et combien il arrive à toute heure, dans les discours

  1. Cela dépend de la question posée ; elle peut exiger dès l’abord une définition adéquate.
  2. Pascal n’admet pas qu’outre les définitions de mots, les définitions de choses soient nécessaires aux discussions et démonstrations scientifiques. Il est dans l’erreur.