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PHILOSOPHIE. 301

rencontrer dans le premier point, lequel consiste à définir les seules choses qui en ont besoin. Elle en use de même à l’égard de l’autre point, qui consiste à prouver les propositions qui ne sont pas évidentes.

Car, quand elle est arrivée aux premières vérités connues, elle s’arrête là et demande qu’on les accorde, n’ayant rien de plus clair pour les prouver : de sorte que tout ce que la géométrie propose est parfaitement démontré, ou par la lumière naturelle[1], ou par les preuves.

De là vient que si cette science ne définit pas et ne démontre pas toutes choses, c’est par cette seule raison que cela nous est impossible[2]

On trouvera peut-être étrange que la géométrie ne puisse définir aucune des choses qu’elle a pour principaux objets : car elle ne peut définir ni le mouvement, ni les nombres, ni l’espace ; et cependant ces trois choses sont celles qu’elle considère particulièrement et selon la recherche desquelles elle prend ces trois différents noms, de mécanique, d’arithmétique, de géométrie, ce dernier nom appartenant au genre et à l’espèce[3].

Mais on n’en sera pas surpris, , si l’on remarque que cette admirable science ne s’attachant qu’aux choses les plus simples, cette même qualité qui les rend dignes d’être ses objets les rend incapables d’être définies ; de sorte que le manque de définition est plutôt une perfection qu’un défaut, parce qu’il ne vient pas de leur obscurité, mais au contraire de leur extrême évidence, qui est telle qu’encore qu’elle n’ait pas la conviction des démonstrations, elle en a toute la certitude[4]. Elle suppose donc que l’on sait quelle est la chose qu’on entend par ces mots, mouvement, nombre, espace ; et, sans s’arrêter à les définir inutilement, elle en pénètre la nature et en découvre les merveilleuses propriétés.

Ces trois choses qui comprennent tout l’univers, selon ces paroles : Deus fecit omnia in pondere, in numero et mensura[5], ont une liaison réciproque et nécessaire. Car on ne peut imaginer de mouvement sans quelque chose qui se meuve ; et cette chose étant une, cette unité est l’origine de tous les nombres ; et enfin

  1. La lumière naturelle ou l’évidence immédiate ne « démontre » pas : elle montre.
  2. Pascal avait mis entre parenthèses : « Mais comme la nature fournit tout ce que cette science ne donne pas, son ordre à la vérité (c’est-à-dire le rapport de la géométrie avec la vérité) ne donne pas une perfection plus qu’humaine, mais il a toute celle où les hommes peuvent arriver. Il m’a semblé à propos de donner dès l’entrée de ce discours cette… (théorie ? ) »
  3. Selon l’auteur, la géométrie est un genre qui se divise en trois branches ou espèces, dont la dernière s’appelle du même nom que le genre : géométrie (proprement dite).
  4. Pour Pascal la conviction présuppose des raisonnements ou démonstrations ; tandis que la certitude peut résulter d’une vue immédiate de l’esprit ou d’une démonstration par voie de raisonnement et de discours.
  5. "Dieu a fait toutes choses avec poids, nombre et mesure. » (SAP., XI, 21.)