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préface.

Après qu’il leur eut fait voir quelles sont les preuves qui font le plus d’impression sur l’esprit des hommes, et qui sont les plus propres à les persuader, il entreprit de montrer que la religion chrétienne avait autant de marques de certitude et d’évidence que les choses qui sont reçues dans le monde pour les plus indubitables[1].

Pour entrer dans ce dessein, il commença d’abord par une peinture de l’homme, où il n’oublia rien de tout ce qui le pouvait faire connaître et au dedans et au dehors de lui-même, jusqu’aux plus secrets mouvements de son cœur. Il supposa ensuite un homme qui, ayant toujours vécu dans une ignorance générale, et dans une indifférence à l’égard de toutes choses, et surtout à l’égard de soi-même, vient enfin à se considérer dans ce tableau, et à examiner ce qu’il est. Il est surpris d’y découvrir une infinité de choses auxquelles il n’a jamais pensé ; et il ne saurait remarquer sans étonnement et sans admiration tout ce que Monsieur Pascal lui fait sentir de sa grandeur et de sa bassesse, de ses avantages et de ses faiblesses, du peu de lumière qui lui reste, et des ténèbres qui l’environnent presque de toutes parts, et enfin de toutes les contrariétés étonnantes qui se trouvent dans sa nature. Il ne peut plus après cela demeurer dans l’indifférence, s’il a tant soit peu de raison ; et quelque insensible qu’il ait été jusqu’alors, il doit souhaiter, après avoir ainsi connu ce qu’il est, de connaître aussi d’où il vient et ce qu’il doit devenir.

M, Pascal l’ayant mis dans cette disposition de chercher à s’instruire sur un doute si important, il l’adresse premièrement aux philosophes ; et c’est là qu’après lui avoir développé tout ce que les plus grands philosophes de toutes les sectes ont dit sur le sujet de l’homme, il lui fait observer tant de défauts, tant de faiblesses, tant de contradictions, et tant de faussetés dans tout ce qu’ils en ont avancé, qu’il n’est pas difficile à cet homme de juger que ce n’est pas là où il s’en doit tenir.

Il lui fait ensuite parcourir tout l’univers et tous les âges, pour lui faire remarquer une infinité de religions qui s’y rencontrent ; mais il lui fait voir en même temps, par des raisons si fortes et si convaincantes, que toutes ces religions ne sont remplies que de vanité, que de folies, que d’erreurs, que d’égarements et d’extravagances, qu’il n’y trouve rien encore qui le puisse satisfaire.

  1. Cette proposition n’est pas sans quelque exagération. Jamais l’Église n’a prétendu que ses titres fussent d’une évidence aussi frappante, aussi directe, que celles des sciences expérimentales ou mathématiques. L’obscurité de la foi est reconnue par tous les bons théologiens, et sert à assurer le mérite de la croyance. Pascal lui-même a repoussé cette exagération en plusieurs de ses Pensées, allant même jusqu’à l’extrémité opposée, qui est également fausse.