L’homme, quelque plein de tristesse qu’il soit, si l’on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là. Et l’homme[1], quelque heureux qu’il soit, s’il n’est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n’y a point de joie, avec le divertissement il n’y a point de tristesse. Et c’est aussi ce qui forme le bonheur des personnes de grande condition, qu’ils ont un nombre de personnes qui les divertissent, et qu’ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état.
Prenez-y garde. Qu’est-ce autre chose d’être surintendant[2], chancelier, premier président[3], sinon d’être en une condition où l’on a dès le matin un grand nombre de gens qui viennent de tous côtés pour ne leur laisser pas une heure en la journée où ils puissent penser à eux-mêmes ? Et quand ils sont dans la disgrâce et qu’on les envoie[4] à leurs maisons des champs, où ils ne manquent ni de biens, ni de domestiques pour les assister dans leurs besoins, ils ne laissent pas d’être misérables et abandonnés, parce que personne ne les empêche de songer à eux.
La dignité royale n’est-elle pas assez grande d’elle-même
- ↑ « Et l’homme. » Remarquer l’effet que produit ce mot, placé deux fois à la tête de la phrase et détaché. Il arrête l’esprit sur l’étrange nature de cet être extraordinaire ; il fait ressortir la puissance du divertissement en la faisant paraître dans deux tableaux opposés et symétriques.
- ↑ « Surintendant. » Des finances. Le dernier surintendant fut Fouquet, qui était encore en place quand Pascal écrivait ceci ; sa disgrâce est de 1661
- ↑ « Premier président. » Du parlement de Paris.
- ↑ « Et qu’on les envoie. » A cette époque, et encore longtemps après, un ministre, un homme revêtu d’une grande charge ne perdait guère sa place sans recevoir une lettre de cachet qui l’exilait dans ses terres.
alarmer sur notre salut et d’y pourvoir. Voir le dernier alinéa de ce paragraphe.