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Page:Pascal - Pensées, éd. Havet.djvu/147

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ARTICLE IV.
2.

Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de ne point y penser.

3.

La nature nous rendant toujours malheureux en tous états, nos désirs nous figurent un état heureux, parce qu’ils joignent à l’état où nous sommes les plaisirs de l’état où nous ne sommes pas ; et quand nous arriverions à ces plaisirs, nous ne serions pas heureux pour cela, parce que nous aurions d’autres désirs conformes à ce nouvel état.

Il faut particulariser[1] cette proposition générale…

    de ce qu’il appelait tout à l’heure un excellent discours : « Il suppose, dans tout le discours du divertissement ou de la misère de l’homme, que l’ennui vient de ce que l’on pense à soi, et que le bien du divertissement consiste en ce qu’il nous ôte cette pensée. Cela est peut-être plus subtil que solide… Le plaisir de l’âme consiste à penser, et à penser vivement et agréablement. Elle s’ennuie sitôt qu’elle n’a plus que des pensées languissantes… C’est pourquoi ceux qui sont bien occupés d’eux-mêmes peuvent s’attrister, mais ne s’ennuient pas. La tristesse et l’ennui sont des mouvements différents… M. Pascal confond tout cela… » Ces critiques de Nicole et celles de Voltaire n’empêchent pas que Pascal n’ait tracé un tableau éloquent et souvent trop vrai de l’inquiétude et de l’ennui qui consument la vie des hommes. C’est l’explication qu’il veut donner de cette maladie qui étonne plus qu’elle ne convainc. Si l’ennui est un état pénible, et quelquefois insupportable, c’est que l’homme est un être actif, et que son activité a toujours besoin de s’exercer. Comme l’estomac à qui on ne fournit pas d’aliments à digérer éprouve un malaise, on ressent un malaise semblable quand on n’a rien à sentir ou à penser. Si on suppose un roi réduit à contempler sa gloire, je dirai d’abord que ce serait déjà là un divertissement, car sa gloire, sa royauté, sont bien des choses du dehors ; seulement ces idées s’épuiseront, et il lui en faudra de nouvelles. Maintenant pourquoi dire que la pensée de la mort nous est essentielle, et que celle des jouissances de la vie n’est qu’un accident ou une distraction ? L’une et l’autre sont également suivant la nature ; penser à soi, c’est penser à l’être qui vit aussi bien qu’à celui qui doit mourir. Pour ce qui est de songer en général à ce que c’est que l’homme, et d’où il vient et où il va, ces méditations, ennuyeuses et pénibles à certaines âmes, procurent à d’autres plus fortes, et procuraient à Pascal lui-même, le divertissement le plus vif et le plus absorbant.

  1. « Il faut particulariser. » Pascal ne l’a pas fait. Pour l’explication de cette pensée, voir vi, 16.