l’autre, l’esprit pouvant être fort et étroit, et pouvant être aussi ample et faible.
En l’un[1], les principes sont palpables, mais éloignés de l’usage commun ; de sorte qu’on a peine à tourner la tête de ce côté-là, manque d’habitude : mais pour peu qu’on s’y tourne, on voit les principes à plein ; et il faudrait avoir tout à fait l’esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu’il est presque impossible qu’ils échappent.
Mais dans l’esprit de finesse, les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête ni de se faire violence. Il n’est question que d’avoir bonne vue, mais il faut l’avoir bonne ; car les principes sont si déliés et en si grand nombre[2], qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Or, l’omission d’un principe mène à l’erreur : ainsi, il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.
Tous les géomètres seraient donc fins s’ils avaient la vue bonne[3], car ils ne raisonnent pas faux sur les principes qu’ils connaissent ; et les esprits fins seraient géomètres s’ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de géométrie.
- ↑ « En l’un. » En l’esprit de géométrie.
- ↑ « Et en si grand nombre. » Il semble bien que l’esprit de finesse est le même qui est appelé esprit de justesse dans le fragment qui précède ; cependant il était dit dans ce fragment que cet esprit s’exerce sur peu de principes, et nous lisons maintenant que ces principes sont en très-grand nombre. Je pense que la contradiction n’est qu’apparente. Il s’agissait tout à l’heure de principes logiques abstraits et généraux, il s’agit maintenant de principes moins reculés, qui ne sont autre chose que des faits d’observation, soit physique, soit morale.
- ↑ « S’ils avaient la vue bonne. » Quelle admirable netteté dans cette analyse !