Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté. Notre raison est toujours déçue[1] par l’inconstance des apparences ; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient[2].
Cela étant bien compris, je crois qu’on se tiendra en repos[3], chacun dans l’état où la nature l’a placé. Ce milieu qui nous est échu en partage étant toujours distant des extrêmes, qu’importe que l’homme ait un peu plus d’intelligence[4] des choses ? S’il en a[5], il les prend un peu de plus haut. N’est-il pas toujours infiniment éloigné du bout[6], et la durée de notre vie[7] n’est-elle pas également infiniment éloignée de l’éternité, pour durer dix ans davantage ?
- ↑ « Notre raison est toujours déçue. » Nous avons vu tout à l’heure dans Montaigne : « La raison se treuve deceue. »
- ↑ « L’enferment et le fuient. » Quelle imagination dans l’expression, pour dire que toute recherche aboutit nécessairement à l’infini, et qu’elle ne peut pourtant y atteindre ! On conçoit bien qu’à la rigueur il n’y a qu’un infini pour notre esprit, et non pas deux, mais il s’étend en deux sens.
- ↑ « Qu’on se tiendra en repos. » C’est-à-dire qu’on renoncera à philosopher, à pénétrer la nature.
- ↑ « Un peu plus d’intelligence. » C’est-à-dire un peu plus qu’il n’en aurait en ne philosophant pas, en se tenant en repos.
- ↑ « S’il en a. » N’est pas bien correct pour dire s’il en a un peu plus.
- ↑ « Du bout. » Les éditions mettent, des extrêmes. Cette expression a paru plus noble ; elle est moins juste. Tout à l’heure il fallait un terme mathématique, ce milieu étant toujours distant des extrêmes ; maintenant il faut un terme familier : le philosophe, si loin qu’il aille, n’ira pas au bout. Il ne s’agit plus des extrêmes.
- ↑ « Et la durée de notre vie. » Dans les éditions : et la durée de notre plus longue vie n’est-elle pas infiniment éloignée de l’éternité ? La phrase de Pascal, alourdie par ces deux adverbes, également, infiniment, n’est pas une phrase bien faite ; mais ce chiffre précis de dix ans rend l’idée bien plus sensible que l’expression vague notre plus longue vie. Cela donne comme une mesure de la distance qu’il peut y avoir entre un grand philosophe et le vulgaire : et ce chiffre nous frappe d’autant plus qu’il est rejeté à la fin de l’alinéa.
un écrivain inhabile qui ne sait pas dire ce qu’il veut. Mais puisqu’ils avaient résolu de ne pas laisser arriver au public toute sa pensée, il faut encore leur savoir gré d’avoir conservé à l’admiration des lecteurs quelque chose de ce beau passage, même au prix de tant d’altérations.