Page:Pascal - Pensées, 2e édition G. Desprez, 1670.djvu/359

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comme nous faisons obligeamment pour tout le monde, on n’a pas sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais, parce qu’il est injuste, et qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours. En un mot le moi a deux qualités ; il est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il les veut asservir ; car chaque moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice : vous ne le rendez aimable qu’aux injustes, qui n’y trouvent plus leur ennemi ; et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.

[§] Je n’admire point un homme qui possède une vertu dans toute sa perfection, s’il ne possède en même temps dans un pareil degré la vertu opposée : tel qu’était Épaminondas, qui avait l’extrême valeur jointe à