La vie d’un grand écrivain est le meilleur commentaire
de ses écrits ; c’est l’explication et pour
ainsi dire l’histoire de son talent. Cela est vrai, surtout
de celui qui n’a point suivi les lettres comme
une carrière, et dont l’imagination, dans l’âge de
l’activité et des vives impressions, ne s’est point
appauvrie entre les quatre murs d’un cabinet ou
dans l’étroite sphère d’une coterie littéraire. S’il est
aujourd’hui peu d’écrivains dont on soit curieux de
savoir la vie, après les avoir lus, c’est qu’il en est
peu qui frappent par un caractère à eux, et chez
qui se révèle l’homme éprouvé et développé, à travers
un grand nombre de situations diverses. Les
mêmes études faites sous les mêmes maîtres, sous
l’influence des mêmes circonstances et des mêmes
doctrines, le même poli cherché dans un monde
qui se compose de quelques salons, voilà les sources
de l’originalité pour beaucoup d’écrivains qui,
se tenant par la main depuis le collège jusqu’à l’Académie,
vivant entre eux, voyant peu, agissant
moins encore, s’imitent, s’admirent, s’entre-louent
avec bien plus de bonne foi qu’on ne leur en suppose.
De là vient que tant de livres, dans les genres
les plus différents, ont une physionomie tellement
semblable, qu’on les prendrait pour sortis de la même
plume. Vous y trouvez de l’esprit, du savoir, de la
profondeur parfois. Le cachet d’une individualité
un peu tranchée n’y est jamais. C’est toujours certaine façon roide, précieuse, uniforme, assez exacte,
mais sans chaleur, sans vie, décolorée ou faussement
pittoresque ; cette manière, enfin, qu’un public,
trop facilement pris aux airs graves, a tout à
fait acceptée comme un grand progrès littéraire.
L’exemple est contagieux, et l’applaudissement
donné au mauvais goût pervertit le bon : aussi n’a t-on
plus aspiré à des succès d’un certain ordre, qu’on
ne se soit efforcé d’écrire comme les hommes soi disant
forts ; il a fallu revêtir cette robe de famille
pour se faire compter comme capacité, pour n’être
point accusé de folle résistance à la révolution opérée
par le dix-neuvième siècle dans les formes de
la pensée.
Si l’affranchissement complet du joug des conventions d’une époque peut être regardé comme le principal caractère du talent, Paul-Louis Courier a été l’écrivain le plus distingué de ce temps ; car il n’est pas une page sortie de sa plume qui puisse être attribuée à un autre que lui. Idées, préjugés, vues, sentiments, tour, expression, dans ce qu’il a, produit, tout lui est propre. Vivant avec un passé que seul il eut le secret de reproduire, et devenu lui-même la tentation et le désespoir des imitateurs, il a toujours été, pour ainsi parler, seul de son bord, allant à sa fantaisie, tenant peu de compte des réputations, même des gloires contemporaines, et marchant droit au peuple des lecteurs, parce qu’il était plus assuré d’être senti par le grand nombre illettré qu’approuvé par les académiciens et les docteurs de bonne compagnie. Trop savant pour n’avoir pas vu que nul ne l’égalait en connaissance des ressources générales du langage et du génie particulier de notre littérature, convaincu que ses vagabondes études lui avaient appris ce que les livres n’avaient pu enseigner à aucun autre, il n’écouta ni critiques ni conseils. Au milieu de gens qui semblaient travailler à se ressembler les uns aux autres, et qui faisaient commerce des douceurs réciproques de la confraternité littéraire, il se présenta seul, sans prôneurs, sans amis, sans compères, parla comme il avait appris, du ton qu’il jugea lui
- ↑ Cette notice a été écrite en 1829 pour la première édition des œuvres complètes de Paul-Louis Courier ; nous la conservons dans cette nouvelle édition sans aucun changement. Mais depuis cinq ans, de si étranges choses se sont passées ; tant de prédictions de Paul-Louis Courier se sont accomplies ; ses jugements les plus hardis sur les hommes et sur les choses ont reçu une vérification si triste ! Il a été, d’un autre côté, si cruellement démenti dans les seuls éloges qu’il ait eu en sa vie le tort de donner à un personnage de sang royal, qu’une revue des écrits de Paul-Louis Courier eût inspiré aujourd’hui M. Armand Carrel tout autrement qu’en 1829. Depuis lors le nom de Paul-Louis Courier a beaucoup grandi ; celui de son biographe de 1829 a acquis une importance politique et littéraire qui ajoute au prix de ses premiers écrits. L’Essai sur la vie et les écrits de Paul-Louis Courier a d’ailleurs été assez remarqué en 1829 pour qu’on puisse le considérer comme inséparable de toute édition qui pourrait être ultérieurement donnée des Œuvres de Paul-Louis Courier. (Note des éditeurs.)