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8 ===== ESSAI SUR LA VIE ET LES ECRITS =====

de gloire et d’ambition ! Courier sollicitant la protection d’un grand seigneur de l’empire, et briguant l’occasion de se distinguer sous les yeux de l’empereur! C’est pourtant ce qui arriva à l’auteur des lettres écrites d’Italie. Il eut son grain d’ambition, son quart d’heure de folie, comme un autre ; la tête aussi lui tourna. Mais cela ne dura guère ; il en revint bientôt avec mécompte et corrigé pour toute sa vie. Voici l’histoire. Vers la fin de l’année 1808, Courier ayant sollicité, sans pouvoir l’obtenir, un congé qui lui permît d’aller prendre un peu de soin de ses affaires domestiques, avait donné sa démission. Il arrive à Paris, se donnant aux érudits, ses anciens amis, comme séparé pour jamais de son vil métier, comme ayant de la gloire par-dessus les épaules. Mais voilà qu’une nouvelle guerre se déclare du côté de l’Allemagne. Les immenses préparatifs de la campagne de 1809 mettent la France entière en mouvement. Paris est encore une fois agité, transporté dans l’attente de quelqu’une de ces merveilles d’activité et d’audace auxquelles l’empereur a habitué les esprits, et dont les récits plaisent à cette population mobile, comme ceux des victoires d’Alexandre au peuple d’Athènes. C’était alors le flot le plus impétueux de notre débordement militaire ; et Bonaparte, comme porté et poussé par cet ouragan, brisait et abîmait sous lui de trop impuissantes digues. En ce moment, il revenait d’Espagne, où il lui avait suffi de paraître un instant pour ramener à nous toutes les chances d’une guerre, d’abord peu favorable. D’autres armées l’avaient précédé vers le Danube, et il y courait en toute hâte, parce que déjà ses instructions étaient mal comprises, ses ordres mal exécutés. Quel homme alors, en le contemplant au passage, n’eût été atteint de la séduction commune ? Courier ne résista point au désir de voir s’achever cette guerre qui commençait comme une Iliade. Ce n’était point un esprit sec, étroit, absolu. Il avait la prompte et hasardeuse imagination d’un artiste. Faire une campagne sous Bonaparte, lui qui n’avait jamais vu que des généraux médiocres ; rencontrer peut- être l’homme qu’il lui fallait, l’occasion qu’il n’avait jamais eue ; montrer que s’il faisait fi de la gloire, ce n’était pas qu’il ne fût point fait pour elle : toutes ces idées l’entraînèrent.

Le voilà donc faisant son paquet et partant furtivement dans la crainte du blâme de ses amis. La difficulté était d’être rétabli sur les contrôles de l’armée après une démission, chose que l’empereur ne pardonnait pas. Il se glisse comme ami dans l’état-major d’un général d’artillerie ; et, sans fonctions, sans qualités bien décidées, il arrive à la grande armée. Mais Courier ne savait pas ce que c’était que la guerre comme Bonaparte la faisait. Quoiqu’il eût assisté à plusieurs affaires chaudes, il n’avait jamais vu les hommes noyés par milliers, les généraux tués par cinquantaines, les régiments entiers disparaissant sous la mitraille, les tas de morts et de blessés servant de rempart ou de pont aux combattants, battants, l’artillerie, la cavalerie roulant, galopant sur un lit de débris humains, et quatre cents pièces de canon faisant pendant deux jours et deux nuits l’accompagnement non interrompu de pareilles scènes. Or, il y eut de tout cela pendant les quarante-huit heures que Courier passa dans la célèbre et trop désastreuse île de Lobau. Notre canonnier ne vit rien, ne comprit rien, ne sut que faire dans l’immense destruction qui l’entourait. La faim, la fatigue, l’horreur, eurent bientôt triomphé de l’illusion qui l’avait amené. Il tomba d’épuisement au pied d’un arbre, et ne se réveilla qu’à Vienne, où on l’avait fait transporter. Aussi prompt à revenir qu’à se prendre, il quitta la ville autrichienne comme il avait quitté Paris ; et, sans permission, sans ordre, se regardant comme libre de partir, parce que les dernières formalités de sa réintégration n’avaient pas été entièrement remplies, il alla se remettre en Italie des épouvantables impressions qu’il avait été chercher à la grande armée. Depuis lors, son opinion sur les héros, sur la guerre, sur le génie des grands capitaines, a été ce qu’on la voit dans la Conversation chez la duchesse d’Albani. Courier n’a plus voulu croire qu’une pensée, une intention quelconque, aient jamais présidé à un désordre tel que celui dont il avait été témoin. Il a été jusqu’à nier absolument qu’il y eût un art de la guerre. A la vérité, on pouvait tomber mieux qu’à Essling et Wagram pour saisir et voir en quelque sorte opérer le génie militaire de Bonaparte. Ce n’est pas à ces deux sanglantes journées, mais aux quinze jours de marches et d’opérations qui les amenèrent, que la campagne de 1809 doit sa juste immortalité. Courier l’eût compris mieux que personne, si ses émotions de Wagram ne l’eussent brouillé sans retour avec la guerre.

La vie de Courier n’est désormais plus que littéraire. A peine arrivé en Italie, il se rendit à Florence pour y chercher dans la bibliothèque Laurentine un manuscrit de Longus, dans lequel existait un passage inédit qui remplissait la lacune remarquée dans toutes les éditions de ce roman. Mais, dans le transport avec lequel il se livrait au bonheur de sa découverte, une certaine quantité d’encre se répandit sur le précieux passage. C’est là l’histoire de ce fameux pâté qui sembla, en barbouillant trois