Page:Paul-Louis Courier - Oeuvres complètes - I.djvu/26

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par leur nom, parler aux puissances, suivant leurs intentions bien connues, et non pas suivant celles qu’une opposition trop polie voulait bien leur accorder : l’attitude était vraiment unique.

En tout cela Courier n’obéissait pas moins à l’instinct de son talent qu’à son indignation d’honnête homme et de citoyen, contre un système de persécution qui atteignait autour de lui quiconque ne voulait point être persécuteur. Son début ne se fit pas longtemps attendre. Au mois de décembre 1816, il adressa aux chambres, pour les habitants de Luynes, la fameuse pétition : Messieurs, je suis Tourangeau : la sensation fut des plus vives. Ce n’était que le tableau de la réaction royaliste dans un village de Touraine ; mais la France entière s’y pou- vait reconnaître, car partout la situation était la même, avec une égale impossibilité de publier la vérité. Courier avait rendu à la nation cet immense service de publicité, dans un écrit de six pages fait pour être recherché de ceux mêmes qui, s’intéressant moins aux victimes qu’aux persécuteurs, se piquaient d’aimer l’esprit en gens de cour. Or, c’était là le point : tout dire dans une feuille d’impression, et savoir se faire lire. Courier y avait réussi ; aucune porte fermée n’avait pu empêcher cette vérité d’arriver à son adresse. M. Decazes, alors ministre de la police, se servit de la pétition contre le parti extrême qu’il ne gouvernait plus et qui voulait le renverser lui-même. Il chercha par toutes sortes de moyens à s’attacher Courier, mais inutilement. Courier ne voulait pas plus qu’auparavant se faire une carrière politique. Il était bien réellement paysan, occupé de sa vigne, de ses bois, de ses champs. Précisément alors ses propriétés avaient à souffrir de la part de gens qui trouvaient protection auprès des autorités du pays ; et il était toujours allant et venant de Paris à sa terre, de sa terre à Paris, poussant un procès contre l’un, demandant inutilement justice contre l’autre. Comme M. Decazes réitérait auprès de lui ses assurances d’envie de lui être utile, il crut pouvoir profiter de dispositions si rares de la part d’un ministre, au moins pour obtenir dans son village, repos du côté des autorités, et satisfaction de ceux qui volaient impunément ses bois. Il parut dans les salons ministériels du temps, et cela seul suffit pour faire changer de conduite à son égard le préfet du département, et tout ce qui dépendait du préfet. C’était là tout ce qu’il voulait ; il remercia, salua, et ne reparut plus.

La lettre A Messieurs de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, donnée en 1820, coupa court aux petites attentions ministérielles, dont Courier avait continué d’être l’objet depuis la pétition de Luynes. Ses amis avaient tous blâmé l’âpreté de ce nouvel écrit. Lui s’étonnait qu’on pût y voir autre chose que ce que tout le monde pensait des académies et de certains académiciens. On sait l’histoire de cette lettre. Courier s’était présenté pour succéder, à l’Académie des inscriptions, à Clavier, son beau-père. A l’en croire, il avait parole du plus grand nombre des académiciens, et cependant, au jour de l’élection, il avait été unanimement rejeté. Il s’en fâcha et fit la lettre. On remarqua que, puisqu'il avait trouvé la place de Clavier assez honorable pour la vouloir occuper après lui, il s’était fustigé lui-même sur cette prétention en voulant humilier le corps entier des académiciens ; qu’il était peu conséquent à lui d’avoir frappé à la porte d’une académie, uniquement fondée, d’après son dire actuel, « pour composer des devises aux tapisseries du roi et, en un besoin, aux bonbons de la reine."

Si Courier était coupable ici de quelque légèreté, il en fut puni dans le temps par l’endroit le plus sensible à un auteur. Sa lettre aujourd’hui si admirée n’eut d’abord point de succès. Ce qu’on appelait la méchanceté et la vanité blessée de l’académicien aspirant, ferma beaucoup d’yeux sur l’art infini avec lequel était composé ce petit écrit, ou plutôt on fut sciemment injuste, parce que la personnalité maniée si cruellement effraye jusqu’aux rieurs, pour peu qu’ils soient exposés à rencontrer un si terrible homme et à lui déplaire. « Nulle part cependant Courier n’a répandu avec plus de bonheur les traits d’une satire à la fois bouffonne et sérieuse, qui excite le rire en même temps qu’elle soulève l’indignation et le mépris, telle qu’on l’admire dans les immortelles Provinciales". C’est le jugement émis par Courier lui-même dans une courte notice sur sa personne et sur ses écrits, qui n’a point été publiée sous son nom, mais dans laquelle il est impossible de le méconnaître, et dont il serait ridicule de rougir ici pour lui (1). S’il était possible de prendre ainsi sur le fait tous ceux qui, dans les biographies et dans les journaux, se sont chargés de parler d’eux-mêmes, et l’ont fait avec quelque avantage pour leur réputation, l’histoire littéraire de ce temps aurait à recueillir nombre de plaisantes confidences d’amour-propre : tel n’est point le caractère de la petite notice dont il est question ici. Courier n’y a point changé sa manière si connue ; il n’a probablement ni espéré ni désiré qu’on s’y trompât ; et sans précautions oratoires, sans ambages, sans grimaces de fausse


1- L’opinion de Madame Courier et de quelques personnes qui ont connu très particulièrement Courier, est que cette notice n’est point de lui. L’auteur de cet Essai a cru pouvoir, malgré des autorités si respectables, persister dans l’assertion qu’il a émise ici.