Page:Paul-Louis Courier - Oeuvres complètes - I.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
LETTRES

Ces troubles, qui, s’étendant partout comme un incendie, couvrirent la France de ruines, durant la prison du roi Jean, s’arrêtèrent aux campagnes qu’arrosent le Cher et la Loire. Car tel est l’avantage de notre position ; éloignés des frontières et de la capitale, nous sentons les derniers les mouvements populaires et les secousses de la guerre. Jamais les femmes de Tours n’ont vu la fumée d’un camp.

Or, dans cette province, de tout temps si heureuse, si pacifique, si calme, il n’y a point de canton plus paisible que Luynes. Là, on ne sait ce que c’est que vols, meurtres, violences ; et les plus anciens de ce pays, où l’on vit longtemps, n’y avaient vu ni prévôts, ni archers, avant ceux qui vinrent, l’an passé, pour apprendre à vivre à Fouquet. Là, on ignore jusqu’aux noms de factions et de partis ; on cultive ses champs ; on ne se mêle d’autre chose. Les haines qu’a semées partout la révolution n’ont point germé chez nous, où la révolution n’avait fait ni victimes, ni fortunes nouvelles. Nous pratiquons surtout le précepte divin d’obéir aux puissances ; mais, avertis tard des changements, de peur de ne pas crier à propos : Vive le roi ! vive la Ligue ! nous ne crions rien du tout ; et cette politique nous avait réussi, jusqu’au jour où Fouquet passa devant le mort sans ôter son chapeau. A présent même, je m’étonne qu’on ait pris ce prétexte de cris séditieux pour nous persécuter : tout autre eût été plus plausible ; et je trouve qu’on eût aussi bien fait de nous brûler comme entachés de l’hérésie


de nos ancêtres, que de nous déporter ou nous emprisonner comme séditieux.

Toutefois vous voyez que Luynes n’est point, Messieurs, comme vous l’auriez pu croire, un centre de rébellion, un de ces repaires qu’on livre à la vengeance publique, mais le lieu le plus tranquille de la plus soumise province qui soit dans tout le royaume. Il était tel, du moins, avant qu’on y eût allumé, par de criantes iniquités, des ressentiments et des haines qui ne s’éteindront de longtemps. Car je dois vous le dire, Messieurs, ce pays n’est plus ce qu’il était ; s’il fut calme pendant des siècles, il ne l’est plus maintenant. La terreur à présent y règne, et ne cessera que pour faire place à la vengeance. Le feu mis à la maison du maire, il y a quelques mois, vous prouve à quel degré la rage était alors montée ; elle est augmentée depuis, et cela chez des gens qui, jusqu’à ce moment, n’avaient montré que douceur, patience, soumission à tout régime supportable. L’injustice les a révoltés. Réduits au désespoir par ces magistrats mêmes, leurs naturels appuis, opprimés au nom des lois qui doivent les protéger, ils ne connaissent plus de frein, parce que ceux qui les gouvernent n’ont point connu de mesure. Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtez-vous, Messieurs, de mettre un terme à ces dissensions. Il faut que votre sagesse et la bonté du roi rendent à ce malheureux pays le calme qu’il a perdu.

Paris, le 10 décembre 1816.
LETTRES
AU RÉDACTEUR DU CENSEUR.


(1819 — 1820.)


______________________


LETTRE PREMIÈRE.



Véretz, le 10 juillet 1819.


Vous vous trompez, Monsieur, vous avez tort de croire que mon placet imprimé[1], dont vous faites mention dans une de vos feuilles, n’a pro-


duit nul effet. Ma plainte est écoutée. Sans doute, comme vous le dites, il est fâcheux pour moi que l’innocence de ma vie ne puisse assurer mon repos ; mais c’est la faute des lois, non celle des ministres. Ils ont écrit à leurs agents comme je le pouvais désirer, et plût à Dieu qu’ils eussent écrit de même aux juges, quand j’avais des procès, et

  1. Le placet aux ministres.