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Page:Paul-Louis Courier - Oeuvres complètes - I.djvu/42

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LETTRES

depuis qu’on nous prêche moins. Ne point voler, ne point tuer, ne convoiter la femme ni l’âne, honorer père et mère, nous pratiquons tout cela mieux que n’ont fait nos pères, et mieux que ne font actuellement, non tous nos prêtres, mais quelques-uns, revenus de lointain pays. Rarement à courir le monde devient-on plus homme de bien ; mais un ecclésiastique, dans la vie vagabonde, prend d’étranges habitudes. Messire Jean Chouart était bon homme, tout à son bréviaire, à ses ouailles ; il était doux et humble de cœur, secourait l’indigent, confortait le dolent, assistait le mourant ; il apaisait les querelles, pacifiait les familles : le voilà revenu d’Allemagne ou d’Angleterre, espèce de hussard en soutane, dont le hardi regard fait rougir nos jeunes filles, et dont la langue sème le trouble et la discorde ; hardi, querelleur, cherchant noise ; c’est un drôle qui n’a pas peur, tout prêt à faire feu sur les bleus, au premier signe de son évêque. Tels sont nos prêtres de retour de l’émigration. Ils ont besoin de bons exemples et en trouveront parmi nous. Mais si nous sommes plus forts qu’eux sur les commandements de Dieu, ils nous en remontrent à leur tour sur les commandements de l’Église, qu’ils se rappellent mieux que nous, et dont le principal est, je crois, donner tout son bien pour le ciel. Vous me demandez, disait ce bon prédicateur Barlette, comment on va en paradis ? Les cloches du couvent vous le disent : donnez, donnez, donnez. Le latin du moine est joli. Vos quæritis a me, fratres carissimi, quomodo itur ad paradisum ? Hoc dicunt vobis campanœ monasterii, dando, dando, dando.

LETTRE VII.

Véretz, 20 décembre 1819.
Monsieur,

Chacun ici commente à sa manière le discours royal d’ouverture. Il y a des gens qui disent : On ne restaure point un culte. Les ruines d’une maison, c’est le mot du bonhomme, se peuvent réparer, non les ruines d’un culte. Dieu a permis que l’Église romaine, depuis le temps de Léon X, déchût constamment jusqu’à ce jour. Elle ne périra point, parce qu’il est écrit : Les portes de l’enfer… ; mais sont-ce nos ministres qui la doivent relever avec le télégraphe, ou M. de Marcellus avec quelques grimaces ? Pour restaurer le paganisme à Rome, les empereurs firent tout ce qu’ils purent, et ils pouvaient beaucoup ; ils n’en vinrent point à bout. Marie, en Angleterre, et d’autres souverains, essayèrent aussi de restaurer l’ancien culte ; ils n’y réussirent pas, et même, comme on sait, mal en prit à quelques-uns. En matière de religion, ainsi que de langage, le peuple fait loi ; le peuple de tout temps a converti les rois. Il les a faits chrétiens, de païens qu’ils étaient ; de chrétiens catholiques, schismatiques,. hérétiques, il les fera raisonnables, s’il le devient lui-même ; il faut finir par là.

D’autres disent : Il y aurait moyen, si on le voulait tout de bon, de rallumer le zèle dans les cœurs un peu tièdes pour la vraie religion ; le moyen serait de la persécuter : infaillible recette éprouvée mille fois, et même de nos jours. La religion doit plus aux gens de 93 qu’à ceux de 1815. Si elle languit encore, et s’il faut un peu d’aide au culte dominant, comme l’assurent les ministres, la chose est toute simple. Au lieu de gager les prêtres, mettez-les en prison et défendez la messe ; demain le peuple sera dévot, autant qu’il le peut être à présent qu’il travaille ; car l’abbé de la Mennais a dit une vérité : Le mal de notre siècle, en fait de religion, ce n’est pas l’hérésie, l’erreur, les fausses doctrines ; c’est bien pis, c’est l’indifférence. La froide indifférence a gagné toutes les classes, tous les individus, sans même en excepter l’abbé de la Mennais et d’autres orateurs de la cause sacrée, qui ne s’en soucient pas plus, et le font assez voir. Ces amis de l’autel ne s’en approchent guère : Je ne remarque point qu’ils hantent les églises. Quel est le confesseur de M. de Chateaubriand ? Certes ceux qui nous prêchent ne sont pas des Tartufes, ce ne sont pas des gens qui veuillent en imposer. À leurs œuvres on voit qu’ils seraient bien fâchés de passer pour dévots, d’abuser qui que ce soit : ils ont le masque à la main.

C’est toi qui l’as nommé, docte abbé : notre mal et le tien, l’indifférence pour la religion. Il : en a fait un livre, comme ces médecins qui composent les traités sur une maladie dont eux-mêmes sont atteints, et en raisonnent d’autant mieux. Il dit en un endroit, et j’ai bonne mémoire : Est-ce faute de zèle qu’on ne dispute plus, ou faute de disputes qu’il n’y a plus de zèle ? Je trouve, quant à moi, que l’on dispute assez et que le zèle ne manque pas ; mais depuis quelque temps il a changé d’objet : car, même dans ce qui s’écrit sur la religion maintenant, de quoi est-il question ? De la présence réelle ? en aucune façon. De la fréquente communion ? nullement. De la lumière du Thabor, de l’immaculée conception, de l’accessibilité, de la consubstantialité du Père et du Fils, aussi peu ? De quoi donc s’agit-il ? du revenu