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Page:Paul-Louis Courier - Oeuvres complètes - I.djvu/51

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de race, ou destiné à faire race, s’accommode sans peine avec vous. Ces gens qui tant de fois ont juré de mourir ; ces gens toujours prêts à verser leur sang jusqu’à la dernière goutte pour un maître chéri, une famille auguste, une personne sacrée ; ces gens qui meurent et ne se rendent pas, sont de facile composition, et vous le savez bien. Mais il y a chez nous une classe moins élevée, quoique mieux élevée, qui ne meurt pour personne, et qui, sans dévouement, fait tout ce qui se fait ; bâtit, cultive, fabrique autant qu’il est permis ; lit, médite, calcule, invente, perfectionne les arts, sait tout ce qu’on sait à présent, et sait aussi se battre, si se battre est une science. Il n’est vilain qui n’en ait fait son apprentissage, et qui là-dessus n’en remontre aux descendants des du Guesclin. Georges le laboureur, André le vigneron, Pierre, Jacques le bonhomme, et Charles qui cultive ses trois cents arpents de terre, et le marchand, l’artisan, le juge, l’avocat, et notre digne vicaire, tous ont porté les armes, tous vous ont fait la guerre. Ah ! s’ils n’eussent jamais eu le grand homme à leur tête…… sans la troupe dorée, les comtes, les ducs, les princes, les officiers de marque… si la roture en France n’eût jamais dérogé, ni la valeur dégénéré en gentilhommerie, jamais nos femmes n’eussent entendu battre vos tambours.

Or ces gens-là et leurs enfants, qui sont grandis depuis Waterloo, ne font pas chez nous si peu de monde, qu’il n’y en ait bien quelques millions n’ayant ni manières de Versailles, ni formes de la Malmaison, et qui, au premier pas que vous ferez sur leurs terres, vous montreront qu’ils se souviennent de leur ancien métier ; car il n’est alliance qui tienne ; et si vous venez les piller au nom de la très-sainte et très-indivisible Trinité, eux, au nom de leurs familles, de leurs champs, de leurs troupeaux, vous tireront des coups de fusil. Ne comptant plus pour les défendre sur le génie de l’empereur, ni sur l’héroïque valeur de son invincible garde, ils prendront le parti de se défendre eux-mêmes ; fâcheuse résolution, comme vous savez bien, qui déroute la tactique, empêche de faire la guerre par raison démonstrative, et suffit pour déconcerter les plans d’attaque et de défense le plus savamment combinés. Alors, si vous êtes sages, rappelez-vous l’avis que je vais vous donner. Lorsque vous marcherez en Lorraine, en Alsace, n’approchez pas des haies, évitez les fossés, n’allez pas le long des vignes, tenez-vous loin des bois, gardez-vous des buissons, des arbres, des taillis, et méfiez-vous des herbes hautes ; ne passez point trop près des fermes, des hameaux, et faites le tour des villages avec précaution ; car les haies, les fossés, les arbres, les buissons, feront feu sur vous de tous côtés, non feu de file ou de peloton, mais feu qui ajuste, qui tue ; et vous ne trouverez pas, quelque part que vous alliez, une hutte, un poulailler qui n’ait garnison contre vous. N’envoyez point de parlementaires, car on les retiendra ; point de détachements, car on les détruira ; point de commissaires, car…… Apportez de quoi vivre ; amenez des moutons, des vaches, des cochons, et puis n’oubliez pas de les bien escorter, ainsi que vos fourgons. Pain, viande, fourrage et le reste, ayez provision de tout ; car vous ne trouverez rien où vous passerez, si vous passez, et vous coucherez à l’air, quand vous vous coucherez ; car nos maisons, si nous ne pouvons vous en écarter, nous savons qu’il vaut mieux les rebâtir que les racheter, cela est plus tôt fait, coûte moins. Ne vous rebutez pas d’ailleurs, si vous trouviez dans cette façon de guerroyer, quelques inconvénients. Il y a peu de plaisir à conquérir des gens qui ne veulent pas être conquis, et nous en savons des nouvelles. Rien ne dégoûte de ce métier comme d’avoir affaire aux classes inférieures. Mais ne perdez point courage, car si vous reculiez, s’il vous fallait retourner sans avoir fait la paix, ni stipulé d’indemnités, alors, alors, peu d’entre vous iraient conter à leurs enfants ce que c’est que la France en tirailleurs, n’ayant ni héros ni péquins.

Apprenez, dit le Prophète, apprenez, grands de la terre ; c’est-à-dire, messieurs du congrès, renoncez aux vieilles sottises. Instruisez-vous, arbitres du monde ; c’est-à-dire, excellences, regardez ce qui se passe, et faites-vous sages, s’il se peut. L’Espagne se moque de vous, et la France ne vous craint pas. Vos amis ont beau dire et faire, nous ne sommes pas disposés à nous gouverner par vos ordres ; et ni eux, avec leurs sept hommes, ni vous, avec vos sept cent mille, ne nous faites la moindre peur ; partant, je ne vois nulle raison de changer notre allure pour vous plaire, et je conclus à rejeter toute la loi venant d’eux ou de vous.

Voilà ce que j’aurais dit après le général Foy, si j’eusse pu, député indigne, lui succéder à la tribune.