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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/133

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INQUIÉTUDE D’ESPRIT ET DE CŒUR

sur la conférence Chanut, et m’avertir qu’elle serait chaude. Sachant combien tu prends à cœur cette affaire, j’ai voulu m’entendre avec toi d’avance. J’en suis bien payé… »

Il y eut un autre silence entre les deux jeunes gens, que Crémieu-Dax rompit de nouveau le premier, en enveloppant son ami, cette fois, d’un regard où tout n’était plus qu’affection, et il lui dit :

— « Pardonne-moi, Monneron, si je t’ai froissé. J’ai eu tort. Je le reconnais. Tu es si loyal que je le saurais, le premier, j’en suis sûr, si tu changeais de camp. Je l’ai cru, et tu sais que je ne peux pas être indifférent, quand il s’agit de la Cause. L’instant est solennel. Si l’alliance se fait aujourd’hui entre les travailleurs manuels et les travailleurs spirituels, l’avenir est fondé. Nous gagnons des siècles en quelques années. Notre pauvre U. T., ce n’est qu’un tout petit groupe parmi ceux qui se forment à cette heure. Mais du succès des vingt, des trente, des quarante petits groupes, dépend le gain de la bataille. Qu’un de ces groupes se débande, puis un second, puis un troisième, c’est l’histoire d’un régiment qui lâche pied. Il suffit pour déterminer une panique. Voilà pourquoi j’étais désespéré à l’idée de te perdre. Toi parti, c’était l’U. T. entamée, la porte ouverte à d’autres désertions, peut-être. Mais j’ai rêvé. Tu restes. N’en parlons donc plus, et, encore une fois, pardonne-moi… Nous allons préparer la discussion de ce soir… Je reviens… »