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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/157

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L’UNION TOLSTOÏ

longue figure jaune de fanatique bilieux, avec d’énormes traits comme taillés à la serpe, des cheveux bruns, et des yeux très petits, intensément noirs. Ils brillaient d’un éclat presque sauvage, qui accentuait encore le caractère animal de sa physionomie : il était marqué de prognathisme. Trapu et chétif à la fois, avec cette forte tête comme enfoncée entre les épaules, il donnait l’impression d’une nature souffreteuse et fruste tout ensemble, impuissante et violente. Il était très intelligent, d’une intelligence singulièrement douée pour la critique et la destruction. Il affectait de parler avec une franchise brutale, qui s’accordait bien avec son accent rauque. Ajoutons, pour expliquer son interruption, que les réunions solennelles de l’U. T. s’ouvraient toujours sur quelque hymne entonné par tous. L’habitude de chanter en chœur avait été, comme le reste, introduite à l’Union Tolstoï par Crémieu-Dax. Lui-même aussi bon musicien qu’il était érudit et lettré. tout aurait dû lui répugner, air et paroles, dans l’inepte chanson dont le socialisme contemporain a fait sa Marseillaise. Avait-il des motifs pour ne pas contredire la proposition excentrique de Riouffol, car, jusqu’ici, les chants étaient généralement réservés pour les réunions plus nombreuses ? Se préparant à le combattre, tenait-il à lui prouver qu’il était aussi révolutionnaire que lui ? Il fut le premier à attaquer le couplet :

… Debout, les damnés de la terre ?
Debout, les forçats de la faim !