Aller au contenu

Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
L’UNION TOLSTOÏ

mesures égales sur quelque comptoir imaginaire ; « Oui, » répéta-t-il, « tu as très bien dit, Riouffol, nous n’avons pas le temps d’écouter cet histrion. Et puis, même si la majorité se prononçait pour qu’il vînt parler ici, je demanderais qu’on lui posât pour condition qu’il ne parlera pas en soutane… » Et il continua, prenant texte de ce costume pour développer une critique, renouvelée des bousingots romantiques sur la laideur du monde chrétien, puis une autre tirade sur les splendeurs possibles du monde industriel. Ses amis connaissaient ces clichés sur la poésie des gares et des machines, le pittoresque des affiches, etc., etc… Il ne leur en épargna aucun et finit par conclure : « Souvenez-vous que nous ne sommes pas ici pour faire seulement œuvre de vérité, mais de beauté ! »

— « Moi, » dit le voisin de Marins Pons « peu me chaut la laideur de la calotte dont Chanut coiffe sa microcéphalie. Ce qui me chaut, je vais vous l’expliquer… J’ai jeté quelques phrases sur le papier… Je ne suis pas orateur, vous le savez…  » Celui-là était un ouvrier électricien du nom de Boisselot. Doué d’une énergie de volonté extraordinaire, il s’était instruit lui-même en prenant sur ses repas pour louer des livres, et sur son sommeil pour les lire. Pathétique soupir vers un peu plus de lumière, qui avait, par une cruelle ironie, abouti à faire de cet autodidacte un cacographe désespérant ! La cocasserie de ses métaphores, qu’il croyait des effets de style, la prétention des mots littéraires qu’il insérait dans