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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/193

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LE CHEMIN DU CRIME

l’aura retenu. Il s’amuse sans doute à cette heure. Il est gai… Tu as vu comme il plaisantait ce matin ? Ils sont pourtant vrais, les vers immortels :

… Prima est hæac ultio quod, se
Judice, nemo nocens absolvitur…

Aurait-il eu cette gaieté-là, je te le demande, avec le poids d’un faux et d’un vol sur la conscience ? Vous avez causé ensemble avant sa sortie. Il ne t’a pas dit où il allait ?… »

— « Pas le moins du monde, » répondit Jean. La rougeur de ce nouveau mensonge empourpra sa joue et il en eut honte. N’eût-ce pas été une faute pire que d’ajouter aux inquiétudes contre lesquelles son père se débattait avec une souffrance dans la voix, un tremblement dans les mains, et surtout une lueur au fond des prunelles, qui dénonçaient trop le doute intérieur ? « Mais enfin, » demanda-t-il, « que t’a dit M. Berthier ? Sur quoi fonde-t-il son accusation ? Nous la discuterons ensemble. Peut-être, à nous deux, verrons-nous tout de suite le point où il s’est trompé ?… »

— « Ah ! » reprit douloureusement le père, « je ne fais que le chercher, ce point, et je ne le trouve pas… Tu venais de sortir, » continua-t-il de l’accent de quelqu’un qui croit revivre physiquement la scène qu’il raconte, tant elle lui est restée présente. Chez ce lettré abstrait qui n’habitait que ses idées, comme avait dit Jean à M. Ferrand, cette soudaine intensité de vision révélait un ébranlement prodigieux, presque un déplacement