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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/250

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L’ÉTAPE

grand magasin. Elle lisait tout haut les chiffres :

— « Quinze francs quatre-vingt-quinze, un véritable renard noir !… C’est dans mes prix. Qu’en penses-tu, Julie ?… Cette fois, je ne me laisserai pas attraper comme l’année dernière, tu te rappelles, ces voleurs, avec leur fausse zibeline ?… »

— « Celle dont tous les poils s’en sont allés à la première pluie… » ricana Gaspard. Cette allusion à une des innombrables mésaventures où la manie d’acheter au rabais des choses d’apparat entraînait sans cesse la Méridionale ne fut pas précisément de son goût. Elle darda sur son fils favori un regard presque colère, en lui disant, sans se douter de l’ironie d’un pareil reproche, dans sa bouche, à elle :

— « Tu trouves ça drôle, toi, de voir s’en aller ainsi, pour rien, l’argent que ton pauvre père a tant de peine à gagner ? Mange plutôt ton chocolat, tranquillement… »

Le potache en sortie était en effet le seul de la maisonnée à qui fût réservée cette gâterie. Il fit le geste d’obéir à sa mère en humant avec un claquement des lèvres une partie de son bol, et il répondit :

— « C’est vrai que c’est du nanan. Mais je le mérite, avoue-le, petite mère. Je suis un type si chic… Il n’y a que moi d’un peu rigolo ici. reluque-moi ces trombines… Tiens, ça t’offense, mademoiselle Julie Navet !… »

Julie s’était en effet levée de table, au moment où le collégien avait commencé ses gentillesses de