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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/261

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LES FRÈRES ET LA SŒUR

vous ce mot de villas ? Traduisez le texte, Salluste a écrit : construire la mer, traduisez : construire la mer. Voilà le grand latin, celui qui se tient debout par la seule vertu du substantif et du verbe, a dit cet autre. Quelle langue !… »

— « Comme il aime les Lettres ! » songeait Jean, quelques instants plus tard, sur la banquette du fiacre qui l’emportait vers l’avenue Hoche et l’hôtel de Crémieu-Dax. « Même aujourd’hui et dans les fastidieuses occupations de ce métier, elles le consolent. S’il savait la vérité, elles ne le consoleraient plus. Si on lui prend jamais cela, qu’est-ce qu’il aura ? Ah ! cachons-lui tout, tant que nous pourrons… Julie a raison. Comme je l’ai retrouvée tout à l’heure ! Mais à qui ce misérable voulait-il qu’elle demandât de l’argent ? À… Non. Il n’a pas pu. Ce serait trop infâme !… » Le soupçon qu’il nourrissait depuis tant de jours sur les relations de sa sœur et de Rumesnil venait de lui faire deviner l’abominable plan d’Antoine. La seule conception d’une aussi vile scélératesse infligea un frisson insupportable à cette noble sensibilité, pareille à celle de son père par son recul devant les réalités trop cruelles, quand elle n’était pas forcée de les voir. Il en appela contre cette idée à toutes les énergies dont il était capable. Elle suffit cependant pour que sa pensée déviât sur un nouveau versant. Il se prit à se figurer celui auquel il allait demander ce gros service d’argent, tel qu’il l’avait vu la veille, quand la conversation était tombée sur Adhémar.