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UN AMOUREUX

On connaît maintenant le secret de la profonde détresse dont Jean était atterré par cette froide matinée, sur ce banc solitaire du jardin du Luxembourg. Quoi qu’il fût, depuis quelque temps, bien attiré vers les idées de son ancien maître, par suite de toute une évolution intérieure, plus attiré peut-être que celui-ci ne le supposait, le pas lui semblait si définitif, si solennel ! Ce baptême à vingt-quatre ans, c’était une telle rupture avec tout son passé, avec tout son milieu ! Il entrevoyait de tels conflits, et un surtout de telle nature ! D’autre part, les raisons qui le rapprochaient des convictions de M. Ferrand laissaient en lui une telle place au doute !… Bref, il lui avait été impossible de se décider dans le sens où le poussait son cœur. Son amour même avait été un obstacle de plus. Il s’était demandé si l’attraction qu’exerçaient sur lui les doctrines du père de Brigitte ne dérivait pas, sans qu’il s’en rendît compte, du sentiment qu’il portait à la jeune fille. La probité intellectuelle a ses maladies de scrupule comme l’autre. Bien résolu à retirer sa demande, pour ne pas accepter une clause à laquelle il ne pouvait se soumettre en toute conscience, sa violente douleur augmentait encore l’énergie de cette résolution. L’idée de l’effort s’associe trop aisément dans les âmes délicates à l’idée de mérite : elles sont toujours tentées de se mésestimer de ce qui leur plait et de s’estimer de ce qui leur coûte. Et qu’il en coûtait à Jean de renoncer pour toujours à l’amie dont la grâce