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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/284

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L’ÉTAPE

— « Et la conscience, qu’en fais-tu ?… » reprit le père, avec un étonnement plus marqué encore. « Il y a des moments où tu m’inquiètes, Jean ! » continua-t-il avec une gravité douce. « On dirait que tu te laisses gagner par le scepticisme et le pessimisme. Prends garde… Tu en as pourtant la preuve chaque jour, que la conscience suffit pour guider l’homme. Voilà M. Berthier. Tu sais qu’il est un libre penseur. A-t-il eu besoin d’un autre conseil que de celui de sa conscience, pour agir vis-à-vis de moi, avec les procédés les plus scrupuleux, hier et ce matin encore ? Ai-je eu besoin de faire appel chez ton frère à autre chose qu’à la conscience, pour lui demander de garder secret le nom du malheureux camarade qui a essayé de le compromettre et de couvrir ainsi sa propre faute ?… Il faut croire à l’homme, mon fils. C’est la véritable religion et le véritable Évangile. Oui, croire à l’homme, et, par conséquent, aux individus, jusqu’à ce que le contraire soit bien démontré. Tu m’as vu très malheureux hier, après la conversation que j’avais eue avec Berthier. Qu’est-ce qui m’a soutenu ? L’opinion que j’ai de la nature humaine, tout bonnement. Avec l’éducation et les exemples qu’il a reçus, je savais que ton frère ne pouvait pas avoir commis cette ignominie… Et tu vois aujourd’hui comme j’avais raison. »

— « Sa tranquillité avant tout ! » se dit Jean demeuré seul, en se répétant avec une mélancolie infinie les termes mêmes dont s’était servi sa