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L’ÉTAPE

minute d’une même race, l’épisode d’une même histoire. Alors les parents peuvent soutenir de leur expérience un enfant qui n’est qu’eux-mêmes prolongés, un aîné devenir l’éducateur de cadets qui ne sont que lui-même commençant. La continuité est la naturelle condition de ces familles fortes et lentes, au lieu que dans les autres, — c’est la marque indélébile de leur anomalie, — les efforts personnels se juxtaposent, ils ne s’additionnent pas. Les erreurs de celui-ci ne servent pas à celui-là. Un constant travail de désagrégation s’accomplit sur ces milieux improvisés, auxquels manquent les éléments nécessaires à toute durée humaine : un sol dont l’influence héréditaire ait passé dans le sang ; des coutumes qui aient façonné les sensibilités à la ressemblance les unes des autres ; une religion qui assure la communauté des espérances par delà les séparations suprêmes. Si les Monneron eussent été constitués en vraie tribu, autour d’un vrai foyer, les souffrances de Julie lui eussent été sans doute épargnées, et, se produisant (car l’égarement de l’amour est toujours possible), elles eussent trouvé dans l’entourage familial un cœur au moins capable de les plaindre et de les soulager. Jean était si bien préparé à ce rôle ! Il en aurait recueilli lui-même un tel bienfait ! Sa pensée, plus d’à moitié catholique et qui allait cherchant partout des concordances entre l’Église et la vie, en eût saisi une ici et des plus évidentes. M. Ferrand lui avait donné autrefois un vieil exemplaire du grand