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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/349

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ET NE NOS INDUCAS

sentant avec une netteté de plus en plus détaillée. On participe à ce que l’on imagine trop fortement. C’est cette loi de notre nature que marquait le plus impératif des apôtres quand il disait : « Que ces abominations ne soient même pas nommées parmi vous ! » Dans l’instant où elle disait non à cette image, Julie la voyait d’une façon presque concrète, et, en la voyant, elle s’y adaptait mentalement comme à une réalité véritable… Oui, elle se voyait avec Rumesnil, dans une voiture, roulant vers une maison dont il aurait donné l’adresse au cocher ; ce serait peut-être une de celles devant lesquelles elle passait à cet instant. Elle serait enveloppée d’une mante, les traits cachés par une double voilette. Il lui parlerait dans le fiacre, afin de la réconforter. Il lui tiendrait la main… Ils descendraient sans doute avant la maison, pour que jamais le cocher ne pût servir de témoin contre eux. De telles pratiques sont défendues par la loi. Elles relèvent des tribunaux. Elles sont un crime… Ils entreraient dans une allée. Ils monteraient un escalier. Julie se le figurait, étroit et sombre… À un des étages, une porte s’ouvrirait. Qui trouveraient-ils pour exécuter l’abominable besogne ? Un homme ou une femme ? Julie apercevait le regard du « faiseur » ou de la « faiseuse d’anges ».

Elle respirait une odeur d’hôpital. Une table lui apparaissait, brillante d’objets de métal dont l’éclat froid la glaçait, à seulement les voir en esprit. Que serait-ce dans la réalité ? En quoi consisterait l’œuvre de mort ? Elle l’igno-