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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/354

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L’ÉTAPE

inconscient, à peine réel, simplement possible. De quels inguérissables préjugés était-elle possédée pour condamner cet acte, qui ne ferait un tort, s’il en faisait, qu’à elle, Julie, et à elle seule ? Elle savait assez de médecine pour se rendre compte du risque physique à courir, peut-être mortel, et assez du code pour connaître le risque légal. De laquelle de ces deux conséquences avait-elle peur ? Le risque de la chair, elle avait le droit de le braver, puisqu’il n’intéressait qu’elle. L’autre risque, le légal, pourquoi ne le braverait-elle pas aussi ? Qu’est-ce que cela représente, une loi ? Une pénalité ? Mais c’est une souffrance comme une autre. Il s’agit de la peser et de mesurer sa force de résistance, voilà tout. Une obligation ? Pour s’y soumettre, il s’agit d’y croire. Au nom de quoi Julie aurait-elle cru à celle-ci, à ce devoir d’une femme, qui va être mère, de préserver à tout prix la vie de son enfant ? — Mais c’est une idée universellement reçue… — « Et après, si elle ne l’est pas par moi ?… » Elle avait trop entendu son père exalter l’esprit critique, le libre examen, ce que le malheureux homme appelait pompeusement la Raison, et qui n’est que le sens personnel, autant dire le caprice et l’anarchie. Étrange discipline qui fait de chaque individu nouveau un juge absolu de toute la société et de toute la morale ! La fille du Jacobin y avait contracté cette habitude de se prouver l’indépendance de sa pensée par un mépris systématique des conventions. Dans ces instants d’une