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UN AMOUREUX

ciété ! Son irréligion est comme son radicalisme, la preuve qu’il ne vit pas avec ses morts, lui, pour prendre ton mot de tout à l’heure. On l’en a séparé et il s’en est séparé. Sa pensée et sa volonté vont contre sa race, au lieu d’en être la continuation, le prolongement. Mais il est écrit qu’il ne sera demandé à chacun de nous que ce qu’il aura reçu. Voilà pourquoi, je te le répète, Monneron est un honnête homme avec les idées d’un sectaire, et voilà pourquoi la conversion de son fils, si elle a lieu, le bouleversera comme un reniement… »

— « Vous admettez pourtant, » interrogea Brigitte, «  que cette conversion est un besoin de cette âme ? Comment expliquez-vous alors que l’enfant d’un tel père ait, au contraire, cette nostalgie de Dieu ? C’est votre mot, vous l’avez employé, il y a huit jours encore, dans notre grande conversation… »

— « Tu touches là, mon amie, à un grand mystère, » dit le philosophe. « Qu’il y ait un atavisme moral, comme il y a un atavisme physique, une hérédité en retour des idées et des sentiments de nos aïeux, c’est un fait indiscutable. Pourquoi cette hérédité se manifeste-t-elle dans un individu plutôt que dans un autre ? Le problème n’est pas plus soluble que celui de l’inégalité des talents ou tout simplement des santés, entre frères et sœurs, nés des mêmes parents, dans des conditions identiques. Ce qu’il y a de certain, c’est que Jean Monneron est travaillé, depuis des