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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/377

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ET NE NOS INDUCAS

de Jean, lui apparut tout d’un coup. Elle acheva, au contraire, sa phrase sur une demande à son père de l’attendre cinq minutes encore :

— « Cela me secouera de prendre l’air, » dit-elle ; « je n’ai qu’à mettre mes gants et mon chapeau. »

En réalité, elle était toujours en peignoir et seulement coiffée. Dans la fièvre dont elle était consumée, à peine s’il lui fallut les cinq minutes demandées pour se chausser et pour passer sa robe. Elle avait calculé qu’elle entrerait à la Sorbonne pour en repartir aussitôt et retourner rue Claude-Bernard, guetter l’arrivée de son amant. Elle exécuta ce plan comme elle l’avait conçu, et, quand la voiture de Rumesnil déboucha, un peu avant dix heures, à l’angle de la rue Gay-Lussac, Julie était là, debout sur le trottoir, placée de façon à ne pouvoir être aperçue des fenêtres de l’appartement des Monneron, au cas où Jean s’y accouderait. Le jeune noble avait pris, pour cette expédition matinale, son phaéton attelé de ses cobs rouans. Il les arrêta net devant sa maîtresse, qui ne put s’empêcher, même dans les circonstances tragiques où elle se trouvait, d’admirer la grâce virile avec laquelle il conduisait les deux fines bêtes, si élégantes, avec les roses pimpantes de leur frontail et sous le cuir fauve de leur harnachement. Rien que cette manière, pourtant, de se rendre à cette explication si grave avec un ami, dénonçait l’homme d’une autre classe, le grand seigneur qui prend légèrement ses rapports, quels qu’ils soient