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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/398

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L’ÉTAPE

atteint et déchiré en lui une fibre tellement intime qu’il ne se rappelait pas avoir éprouvé un martyre semblable. Il s’était fait en lui comme un arrêt douloureux de la vitalité. Il avait au cœur la sensation d’un étouffement, sur le cerveau l’impression d’une étreinte, d’un poids qui ne s’en irait plus jamais. La vision de sa sœur livrée aux caresses de son ami était devant ses yeux, si présente, que, par instants, il en était comme paralysé d’horreur, et il devait rester sans bouger, pour attendre qu’elle s’effaçât un peu. À d’autres, elle le soulevait de cette fureur froide qui ne connaît plus rien que la vengeance. À toutes ces tentatives nouvelles pour joindre l’homme dont l’image s’associait pour lui à ce hideux cauchemar, cette fureur avait augmenté. Elle lui avait rendu impossible de rentrer rue Claude-Bernard, pour déjeuner d’abord, puis pour dîner. Il avait tremblé de ne pas se dominer assez, et, s’il était bien résolu à prévenir leur père, ainsi qu’il l’avait annoncé à Julie, il ne voulait, il ne devait parler au chef de famille qu’une fois toute espérance détruite d’obtenir de Rumesnil la réparation légitime. Il avait donc mangé à midi dans un restaurant quelconque des environs de l’École-Militaire, sur une des avenues qui coupent la rue d’Estrées, — ô ironie des coïncidences ! — Puis il était retourné rue de Varenne. De là, pour user le temps, il avait eté du côté des Invalides. Il était monté dans les salles du Musée, n’entendant rien, ne voyant rien, sentant grandir en lui l’im-