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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/411

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LA CATASTROPHE

la Chambre des pairs. Ose dire que tu aimes mieux la guerre de races, telle que nous l’avons dans la France issue du gâchis de 89 ! »

— « Oui, j’ose le dire, » répondit Crémieu-Dax avec une énergie sombre. « J’aime mieux la lutte française que la sérénité anglaise. La plus belle des destinées, c’est, en combattant pour soi-même, de combattre pour la justice violée en sa personne… »

— « Et périsse le pays plutôt qu’un principe ! » dit Jean amèrement.

— « Vous êtes plus près de vous entendre que vous ne croyez, » reprit l’abbé Chanut. Le prêtre le plus chimérique est un homme très fin, parce qu’il a confessé. Celui-ci, qui ne savait rien de l’existence de Jean Monneron, avait, comme Crémieu-Dax, senti gronder dans la voix du frère de Julie une douleur qui se soulageait par la violence de la contradiction. Il ne savait rien non plus du jeune Juif, sinon sa rare culture et ses convictions collectivistes ; il devina que cet entretien lui causait, à lui aussi, une souffrance tout autre qu’intellectuelle, et il continua : « Vous rêvez tous deux du royaume de Dieu, puisque vous voulez l’ordre social… Seulement vous voyez le moyen de cet ordre, vous, monsieur Monneron, dans la famille ; vous, monsieur Crémieu-Dax, dans l’individu… Mon métier, à moi, est de faire le service des âmes. On le fait partout, ce métier, même dans un restaurant socialiste, quand on apporte des paroles de paix et de conciliation… »