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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/449

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LE PÊRE ET LE FILS

morale à la fois, d’un homme outragé au plus vif de sa personne morale, le soulevait, et il ne lui était même pas permis de serrer avec plus de force les frêles doigts fiévreux qu’il pressait dans ses doigts ! Si sa rancune contre Rumesnil n’eut été faite que d’orgueil froissé, il eût goûté une joie féroce à penser que ce garçon, si fier, si hautain, s’en allait de son propre appartement comme un voleur, comme un fuyard. Qu’importait à Jean une satisfaction d’amour-propre, quand il avait devant lui un tel spectacle de détresse humaine, et, dans sa pensée, la perspective d’un contre-coup si affreux, là-bas, dans cet intérieur de sa famille, — bien désordonné, certes, bien incohérent ! — Tout de même, ni son père ni sa mère n’avaient mérité qu’un hôte, reçu chez eux avec tant de confiance, les trahît ainsi. Ce matin encore, comme le fourbe avait su trouver des paroles émues pour désarmer ses soupçons ! Et lui, l’ami indignement abusé, ne cracherait jamais sa honte à la face du misérable ! Il le laissait partir sans vengeance, et l’autre se croirait quitte envers sa victime pour avoir essuyé ce coup de feu et l’avoir pardonné !… C’était fini. La porte de l’appartement se refermait, puis celle de la maison. Le bruit d’un fiacre qui roulait annonça au frère que son ennemi lui échappait, pour maintenant et pour toujours. Ce fiacre était celui dans lequel il était venu de l’Union Tolstoï à la rue d’Estrées. Son imagination se peignit Rumesnil, assis dans le même coin à côté du docteur Graux, qui aurait la même expression sévère et triste… Et il