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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/452

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L’ÉTAPE

le professeur, et sans doute quelque incident avec lequel il n’avait pas calculé l’avait obligé à tout révéler. À quoi bon reculer des déclarations tôt ou tard inévitables ? Oui. Jean parlerait. Il demanderait à leur père d’exécuter le projet formé déjà par Julie, mais avec le consentement du professeur. Il partirait à l’étranger avec elle, et présiderait à sa délivrance. Quel autre but avait-il à présent, dans la vie, que cette sœur malheureuse ? Le pacte que lui avait offert M. Ferrand et auquel il avait secrètement suspendu tant d’espérances aussitôt comprimées, depuis ces sept jours, n’existait plus. Jamais ce grand bourgeois français n’aurait promis Brigitte, sa Brigitte, sous la seule condition d’une profession de foi religieuse, au frère d’une fille séduite, coupable d’une tentative d’assassinat sur son amant et de suicide sur elle-même. Quand l’autre frère était un employé de banque voleur et faussaire ! Jean ne pouvait plus, sans déloyauté, se réclamer de la promesse de jeudi dernier, aller à cet homme si bon, à ce maître vénéré, et lui dire : « J’accepte d’être catholique, appelez-moi votre fils, » en se taisant du reste. C’était là que le devoir de la vérité absolue s’imposait. Mais un autre devoir, non moins absolu, exigeait le silence sur les hontes secrètes de sa famille. C’en était donc fait de ce rêve d’amour et de mariage, caressé dans la pénombre de sa pensée, comme une consolation possible, certaine, de tant d’amertumes !… La nuit avançait, avançait toujours, parmi ces déchirantes réflexions, rendues plus aiguës par l’éner-