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Page:Paul Bourget – L’étape.djvu/510

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L’ÉTAPE

profond saisissement donnèrent à Joseph Monneron un remords de la phrase tranchante par laquelle il venait de brutaliser cet être fragile, dont cette émotion en sa présence révélait trop le sentiment. Il fit un pas vers elle, et d’une voix maintenant toute changée :

— « Pardonnez-moi, mademoiselle, » balbutia-t-il, « si je vous ai froissée… »

— « Vous ne m’avez pas froissée, monsieur… » essaya-t-elle de répondre. Ce soudain changement de manières chez son interlocuteur achevait de la déconcerter. Pour une seconde, elle ne fut plus maîtresse de ses nerfs trop ébranlés, et elle eut des larmes au bord des yeux. Joseph Monneron les vit se former dans l’azur de ces douces prunelles, puis mouiller ces beaux cils dorés et rouler sur ces joues brûlantes. Son émotion, à lui aussi, était au comble. Une fois de plus, le père l’emporta sur l’homme aigri et fanatique. Il vit distinctement le bonheur de son fils dans la tendresse passionnée de ce cœur si pur, et, tout bas, comme s’il eût eu peur lui-même de la question qu’il osait poser :

— « Vous aimez donc Jean ?… » lui demanda-t-il. « Vous l’aimez ?… » Elle le regarda avec des yeux où passait une terreur, et aussi une joie intense, subite, inespérée, presque folle. Elle devint, pour un instant, d’une pâleur de morte ; puis subitement, la pudeur de ce plus intime secret de son âme ainsi dévoilé lui mit de nouveau tout son sang au