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LES MONNERON

le tourmenté qu’il était, s’il n’eût pas perçu ces vices de l’âme de sa mère, et, tout ensemble, éprouvé une secrète honte de les percevoir. Car c’était sa mère, et, malgré tout, il l’aimait. Chaque fois qu’il constatait en lui cette impossibilité de se rencontrer avec elle sans en souffrir, il lui semblait que cette impression, si involontaire et qu’il cachait avec tant de soin, constituait un véritable parricide moral. Encore ce matin, à mesure qu’il approchait de la rue Claude-Bernard, un remords le peignait à sentir que, de toute cette famille qu’il appréhendait tant d’affronter, avec son cœur mis à vif, la présence la plus douloureuse allait lui être celle de cette femme, de la chair de laquelle il était issu pourtant, et que son père avait aimée à son âge.

— « Comme j’aime Brigitte… » se disait-il. « Est-ce possible ? Mais oui, je n’ai qu’à regarder son portrait de fiancée. Elle était charmante. Elle a trop peiné dans de mauvaises circonstances, voilà tout. Il n’a pas eu le temps de l’élever, de la cultiver, le temps, ni la force, ni l’argent surtout. Il avait trop à travailler au dehors. Ce sont de pauvres diables. Nous sommes tous de pauvres diables. Nous aurions dû rester à Quintenas, mon père paysan comme son père, et moi de même, labourer, peiner, jusqu’au jour où nous eussions amassé de quoi former un petit capital. Alors nous aurions pu faire souche. Ah ! ne pas habiter cette ville, pas cette maison !… »